Si les déclinaisons françaises, canadiennes, belges, étasuniennes et suisses-romandes de la Direct instruction nous sont connues, ce n’était pas le cas des versions en pays germanophones.

Nous comblons cette lacune avec quelques premières lignes consacrées à la publication de Brüning, L., & Saum, T. (2019) intitulée Direkte Instruktion: Kompetenzen wirksam vermitteln.

A cette fin, nous lui posons 4 premières questions.

1. La méthode recommande-t-elle de réactiver les connaissances pré-requises avant de commencer une nouvelle séquence d’enseignement ?

Réponses :

  • L’une des étapes de la phase d’introduction (Hinführung) de l’Instruction directe est l’«Activation des connaissances préalables ou répétition (Aktivierung des Vorwissens oder Wiederholung)».
  • L’objectif est de s’assurer que les apprenants peuvent lier le nouveau contenu à ce qu’ils savent déjà, car les nouvelles connaissances ne sont retenues que si elles sont intégrées dans le réseau de connaissances existant.

Et si les connaissances sont lacunaires, doit-on réserver du temps pour enseigner ces connaissances préalables ?

Les auteurs recommandent non seulement de consacrer du temps à l’enseignement des connaissances qui font défaut mais encore de constituer des groupes de besoin quand cela s’avère nécessaire.

Voici un extrait très clair :

« Enseignement de rattrapage :
Lors de nos formations d’enseignants, il est souvent rapporté que les enseignants se retrouvent face à des élèves qui ne disposent pas des prérequis nécessaires pour suivre les exigences du cours.

Ici, l’instruction directe est la méthode appropriée pour transmettre efficacement et rapidement les compétences manquantes.

Les fondements de l’expression écrite, les opérations de base, etc., peuvent être transmises dans un enseignement direct structuré. Cela ne fonctionne que si les élèves peuvent obtenir des réussites dès le début de l’opération. Il est donc nécessaire de tenir compte d’une progression adaptée au groupe d’apprenants.

Il faut aussi prendre en compte la faible capacité d’attention par des phases d’instruction courtes.

Ainsi, dès la 5e année, mais aussi au lycée, les compétences manquantes peuvent être transmises efficacement dans des groupes nouvellement constitués grâce à l’instruction directe. Une différenciation externe peut être nécessaire, afin que, dans les groupes concernés, après une analyse précise de la situation initiale, les compétences manquantes soient transmises systématiquement lors de séances spécifiques ». Brüning, L., & Saum, T. (2019), p. 105.

2. La méthode se réfère-t-elle à la « Réponse à l’intervention » avec ses différents niveaux ?

Bien que les termes spécifiques de «système d’interventions à plusieurs niveaux» (souvent désigné par l’acronyme anglais MTSS ou RTI) ne soient pas explicitement mentionnés dans les sources, la méthode est structurée selon plusieurs phases et niveaux d’encadrement et de soutien qui s’adaptent aux besoins des élèves.

Ce modèle adaptatif varie l’intensité de l’intervention de l’enseignant en fonction du degré de maîtrise de la compétence par l’élève, agissant ainsi comme un système progressif et différencié.

Voici les différentes étapes d’intervention et de soutien progressif recommandées par la DI :

Première étape : Instruction et vérification immédiate (Vermittlung)

L’enseignant dirige fortement le processus (lehrergesteuert) pour transmettre de nouvelles compétences.

  • Présentation structurée : le contenu est présenté en petites étapes successives (kleine Schritte).
  • Vérification de la compréhension : après chaque unité d’explication, l’enseignant doit vérifier constamment si les élèves ont compris.
  • Boucle d’apprentissage (Teach-reteach cycle) : si la compréhension n’est pas acquise par l’ensemble de la classe, l’enseignant doit immédiatement réexpliquer (erneute Erklärung einschienen) ou corriger les erreurs et les malentendus pour qu’ils ne s’automatisent pas.

Deuxième étape : pratique guidée avec différenciation (angeleitetes Üben)

Une fois que les élèves ont compris les bases, ils passent à une phase de pratique sous supervision intensive de l’enseignant, ce qui correspond à un niveau d’intervention et de soutien élevé pour assurer la réussite.

  • Soutien progressif (scaffolding/fading) : les tâches (Lernaufgaben) sont conçues avec une progression de la complexité (Progression), et elles incluent beaucoup d’aides (Hilfen) qui diminuent progressivement.
  • Rétroaction immédiate (feedback) : l’enseignant circule et observe le travail (Beobachtung), fournit une rétroaction rapide et des aides ciblées (knappe Hilfen), et corrige les erreurs immédiatement.
  • Objectif de réussite élevée (high success rate) : l’enseignant doit veiller à ce que la probabilité de succès (hohe Lösungswahrscheinlichkeit) soit de 80 % à 90 % pendant cette phase pour renforcer l’estime de soi et la motivation des élèves.
  • Interventions de groupes ciblées : si certains élèves ont encore besoin d’aide après la correction des exercices, ils peuvent être regroupés (zu einer Gruppe zusammenfassen) pour recevoir de nouvelles explications ciblées.

Troisième étape : pratique autonome et remédiation ciblée (selbstständiges Üben)

C’est la phase où les élèves qui maîtrisent la compétence travaillent seuls pour la consolider.

  • Travail autonome : l’enseignant se retire (tritt in den Hintergrund) mais reste disponible pour l’aide. Les élèves utilisent leur expertise pour s’entraider (Mitschüler/innen als Lernpartner/innen) et s’auto-évaluer.
  • Diagnostic continu : si l’enseignant observe qu’un trop grand nombre d’élèves ont des difficultés lors de cette phase, cela signale un problème d’apprentissage général, et il doit revenir à la phase de pratique guidée (angeleitetes Üben).
  • Enseignement de rattrapage (aufholendes Unterrichten) : Pour les élèves qui présentent des lacunes importantes (fehlende Kompetenzen), la DI est recommandée comme méthode efficace pour l’enseignement de rattrapages. Si une différenciation externe (äußere Differenzierung) est requise, cela peut impliquer des séances de cours spécifiques (gesonderte Unterrichtsstunden).

En conclusion, la DI ne se réfère pas explicitement à la Réponse à l’intervention (RàI) mais, avec ses trois étapes,  elle prône l’adaptabilité et la différenciation pour assurer que tous les élèves, y compris ceux ayant de faibles prérequis ou des difficultés d’apprentissage, reçoivent le niveau d’encadrement nécessaire pour atteindre la maîtrise des contenus.

3. Différenciation, qu’est-ce que les auteurs entendent par-là ?

La méthode Direkte Instruktion  fournit des détails concrets sur la manière d’organiser la différenciation durant la phase de pratique guidée (angeleitetes Üben), insistant sur l’adaptabilité et la nécessité de s’assurer que tous les élèves réussissent.

La différenciation des exercices repose principalement sur la progression de la complexité et l’utilisation de matériaux d’aide (Hilfsmaterialien).

Progression des tâches

Les tâches d’apprentissage (Lernaufgaben) doivent progresser du simple au complexe, avec une augmentation lente du niveau de difficulté (Schwierigkeitsgrad). Cette progression permet déjà une différenciation, car les élèves plus performants peuvent se tourner directement vers des tâches plus complexes.

Trois mécanismes sont suggérés pour la progression :

  1. Complexité du contenu : augmenter la difficulté du matériel lui-même (par exemple, des textes plus exigeants ou l’introduction de nombres négatifs).
  2. Solutions partielles (Teillösungen) : Au début, les élèves reçoivent des tâches largement résolues (où seul le dernier pas de calcul est manquant, par exemple). Progressivement, les élèves doivent effectuer de plus en plus d’étapes de résolution par eux-mêmes.
  3. Format des tâches : Commencer par des tâches fermées (geschlossene Aufgaben), passer à des tâches semi-ouvertes (halb offene Aufgaben – comme des exercices à compléter), et terminer par des tâches ouvertes (offene Aufgaben).

Différenciation par les aides additionnelles

C’est le principal moyen d’individualiser dans la phase de pratique guidée tout en gardant les élèves sur le même objet d’apprentissage.

  • Fourniture d’aides : des supports d’aide (Hilfen) ou des fiches d’astuces (Hilfekarten/Tippkarten) sont mis à disposition pour les aspects jugés difficiles. Ces dispositifs ne doivent pas remplacer le travail de l’élève, mais l’aider à avancer d’une ou deux étapes.
  • Gradation des aides : ces fiches d’aide peuvent être elles-mêmes différenciées en plusieurs niveaux de difficulté, permettant aux élèves de choisir la quantité d’aide dont ils ont besoin.
  • Types d’aides : les aides peuvent concerner la compréhension des consignes, l’accès au texte (explications de mots, mise en évidence de passages clés), ou encore l’aide concrète à la résolution (formules, solutions commentées).

4. L’instruction directe insiste-t-elle sur l’importance de la gestion de la classe ?

La méthode accorde de l’importance à l’exercice de la discipline et à la gestion de classe (Klassenmanagement/Klassenführung) sans toutefois recommander l’implémentation de dispositifs aussi pensés que le Soutien au comportement positif.

  • Début de la leçon (Hinführung) : il est crucial de s’assurer que les élèves mettent fin à toutes les activités secondaires et conversations parallèles et concentrent leur attention sur l’enseignement.
  • L’enseignant ne doit commencer l’enseignement que lorsque tous les apprenants ont tourné leur attention vers l’avant.
  • L’adulte doit constamment s’assurer de la concentration et du comportement des élèves.
  • L’enseignant doit chercher constamment le contact visuel (Blickkontakt) avec les apprenants.
  • Il doit parler librement et avec assurance (frei und sicher) devant la classe, varier son style d’élocution et son intonation, utiliser un tempo de parole changeant et des pauses efficaces (wirkungsvolle Sprechpausen).
  • Il est essentiel que les perturbations soient évitées ou immédiatement interrompues (Unterrichtsstörungen gibt bzw. diese direkt unterbunden werden).
  • La capacité de l’enseignant à transmettre le calme et la sérénité (Ruhe ausstrahlen), sans donner l’impression de se presser (keine Eile), est également un facteur clé.
  • Le déplacement dans l’espace (Bewegung im Raum) et l’utilisation consciente de la mimique et de la gestuelle contribuent à maintenir l’attention.
  • La salle de classe est perçue comme une “scène” (Bühne) durant la phase d’explication, visant à capter l’attention des élèves.
  • L’instruction directe ne doit pas être associée à des qualificatifs tels que “froide” ou “technocratique”. Pour réussir, l’enseignement doit être enrichi de caractéristiques émotionnelles, affectives et motivationnelles importantes.
  • Il faut accorder de l’importance aux stratégies qui concernent la relation enseignant-élève (Lehrer-Schüler-Beziehung), le climat d’apprentissage (Lernklima), la bienveillance (Fürsorge) et l’estime de soi (Wertschätzung).
  • L’enseignement réussi repose sur l’enthousiasme (Begeisterung) du professeur pour sa matière et ses contenus, une relation bienveillante (zugewandte Beziehung) avec les élèves, et l’ambition de bien enseigner.
  • Une motivation est créée lorsque l’enseignant montre sa joie de voir les apprenants progresser à chaque heure.

En résumé, les auteurs ne parlent pas d’interventions correctives, ne proposent pas d’arbre décisionnel. Ils se contentent de dire que la DI repose sur une gestion de classe rigoureuse (Klassenführung). Que celle-ci est garante d’ un environnement ordonné et structuré, où les perturbations sont minimales et immédiatement traitées.

Conclusion

Directement inspirée des travaux de Engelmann et Rosenshine, la Direkte Instruktion inclut l’essentiel de ce que nous appelons l’enseignement explicite. Elle possède quelques spécificités qui apparaissent déjà ci-dessus et nous invitent à lui  consacrer un deuxième article.

Remerciements

Merci à Jean-Michel Werding d’avoir attiré notre attention sur la publication de Brüning, L., & Saum, T. (2019).

Ouvrage 

Brüning, L., & Saum, T. (2019). Direkte Instruktion: Kompetenzen wirksam vermitteln. Neue Deutsche Schule Verlagsgesellschaft mbH.

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