Parmi mes lectures de ces cinq dernières années, il en est une dont les résultats m’ont profondément étonné. J’en parlerai en deuxième partie de cet article. Dans un premier temps je souhaite évoquer la récente publication de Christian Boyer, l’un de ses deux auteurs.


Dans « L’intervention orthopédagogique de rattrapage ou de soulagement », Boyer, C. explique la différence qu’il opère entre ces deux manière de procéder et met en garde les responsables de l’éducation contre la menace de se voir attaqués un jour par les victimes d’un système scolaire défaillant.

ORTHOPÉDAGOGIE DE RATTRAPAGE VERSUS ORTHOPÉDAGOGIE DE SOULAGEMENT


L’orthopédagogie est une discipline qui se concentre sur l’éducation et le soutien des personnes ayant des difficultés d’apprentissage ou des besoins éducatifs particuliers. Les orthopédagogues travaillent avec des enfants et des adolescents pour les aider à surmonter leurs défis d’apprentissage et à atteindre leur plein potentiel.
Pour Christian Boyer, l’intervention orthopédagogique est qualifiée de rattrapage (IOR) lorsqu’il s’agit d’un processus scolaire individualisé et adapté, basé sur la science. Il vise à donner la chance aux élèves en difficultés de rejoindre le niveau de compétences du groupe auquel ils appartiennent.
Les visées de l’intervention orthopédagogique de soulagement (IOS) sont autres : elles consistent à demander un allègement des exigences scolaires grâce à la technologie, notamment, pour les élèves rencontrant des difficultés persistantes.

DES MODALITÉS DIFFÉRENTES À PLUSIEURS MOMENTS DES INTERVENTIONS


Le tableau ci-après pointe les différences qui existent entre les deux façons de préparer et de passer un test ayant valeur d’évaluation.

On remarquera, notamment, l’emploi de support technologique lors de la phase d’apprentissage pour l’IOS, des ambitions moins élevées lors de la fixation des objectifs, l’octroi d’un temps de préparation accompagnée lors de la veille du test, moins de mots à retenir, un plus long temps accordé ainsi que l’assistance d’un correcteur syntaxique et orthographique lors de l’examen et des critères de corrections moins sévères permettant d’avoir – à nombre de points égal – une meilleure notation, etc.

Concernant l’intervention de soulagement (IOS), Christian Boyer émet non seulement des réserves majeures à son égard mais cite encore plusieurs études scientifiques qui ont démontré les effets plutôt négatifs du recours aux supports numériques pour venir en aide aux élèves en difficulté.

CRI D’ALERTE


A partir d’un tel constat, Boyer lance un cri d’alerte aux personnes qui sont à l’origine de ces programmes.
« Dans trois ans, cinq ans, dix ans ou vingt ans, si les effets de l’usage du soutien technologique en classe et en orthopédagogie se révèlent officiellement potentiellement néfastes pour le développement cérébral des enfants, leur apprentissage scolaire et leur développement socio-affectif, comme certaines recherches tendent à l’indiquer depuis plus de dix ans, les personnes en autorité seront-elles tenues responsables de ces dommages, que cela soit par inadvertance, par ignorance ou par incompétence ? »
L’essentiel est dit et pas par n’importe qui. Sur notre site, nous avions consacré deux articles à la recherche-action qu’il avait menée avec Steve Bissonnette auprès d’élèves connaissant de forts retards en lecture. Nous en reprenons les éléments essentiels ci-après.

DE LA PIÈTRE EFFICACITÉ DES INTERVENTIONS DE REMÉDIATION TRADITIONNELLES


La recherche-action de Bissonnette, S. et Boyer, C. (2021) a débouché sur des constats inquiétants.
Les rendements obtenus par une remédiation de type classique – à savoir deux séances hebdomadaires de 35 à 40 minutes, – s’avèrent quasi inexistants :
• pour 70% des élèves, les interventions n’ont pas d’effet ;
• pour 20% d’entre eux, il y a même une diminution du rendement des élèves ;
• seuls 10% font des progrès.

MONTÉE EN PUISSANCE DES INTERVENTIONS


Lors des premières ébauches d’élaboration du programme « Développement intensif du raisonnement » (DIR), entre 1990 et 1993, l’intensité des séances est passé à 40 minutes par jour pendant 4 semaines. Les améliorations ont été timides : la proportion d’élèves faisant des progrès a atteint les 20%.
Les premiers résultats encourageants ont été obtenus à partir du moment où l’intensité est montée à 7 semaines d’application du programme à raison de 73 minutes par jour.

FRÉQUENCE ET INTENSITÉ IDÉALES


Les résultats se sont améliorés de manière significative lorsque les interventions orthopédagogiques ont atteint la durée de deux heures par jour durant 10 semaines consécutives. « Le bond le plus impressionnant apparaît au test du raisonnement et de la compréhension : les élèves du groupe orthopédagogique passent de 5 % à 58 %, effectuant un rattrapage de 53 points, ce qui réduit nettement l’écart avec le groupe de référence. »
L’intervention de remédiation est ainsi devenue réellement efficace à partir du moment où les temps d’enseignement et d’apprentissage sont passés de 2 x 45 minutes par semaine à 2 heures par jour et ce, pendant 10 semaines consécutives.

CRITÈRES POUR UN PROGRAMME D’INTERVENTION RÉELLEMENT EFFICACE


Boyer, C. et Bissonnette, S. en sont arrivés à la conclusion que l’application généralisée d’un programme de rattrapage nécessitait l’observation d’une demi-douzaine de conditions rigoureuses pour garantir son efficacité :
A) Le niveau des élèves doit être mesuré avant et après la mise en place du programme pour observer son impact. Cette mesure “avant/après” permet de comparer l’évolution des acquis.
B) Pour s’assurer que les progrès sont bien liés au programme, il faut comparer les résultats avec un groupe d’élèves qui n’y a pas participé.
C) Il est important de vérifier que le programme est appliqué correctement par les intervenants. Des mesures régulières de la fidélité de l’application permettent de s’en assurer.
D) Les résultats, incluant la fidélité de l’application, doivent être analysés pour confirmer l’efficacité du programme. Si besoin, des ajustements basés sur des données probantes et des analyses rationnelles peuvent être apportés. Puis le programme modifié doit être de nouveau évalué.
E) Si, malgré les ajustements, le programme ne produit pas les effets escomptés, il faut l’ abandonner.
F) Même après la généralisation du programme, il est impératif de continuer à suivre le rendement des élèves et la fidélité des intervenants. Cela permet de vérifier périodiquement que le programme continue de produire l’effet désiré ou, dans le cas contraire, d’y apporter les modifications nécessaires.

CONCLUSIONS ET QUESTION


Les interventions de remédiation doivent non seulement être privilégiées face aux interventions de soutien mais encore être élaborées avec beaucoup de sérieux et de professionnalisme. Pour qu’elles aient de l’efficacité auprès d’un grand nombre d’élèves, elles demandent un gros investissement en temps quotidien sur une durée de plusieurs semaines et bénéficier d’intervenants qui appliquent des méthodes à l’efficacité dûment mesurée par des données probantes.
La question qui est désormais posée est la suivante : les conclusions tirées par Boyer, C. et Bissonnette, S. (2021), le modèle qu’ils proposent a-t-il été reproduit, est-il applicable ?

OUVRAGES CITÉS OU CONSULTÉS :
Boyer, C. (2025). L’intervention orthopédagogique de rattrapage ou de soulagement ? Collection des points sur les « i » et des barres sur les « t ». Éditions de l’Apprentissage.
Boyer, C., Bissonnette, S. (2021) : Comment exercer une gestion rationnelle axée sur les résultats? Exemple de la mesure de l’effet d’un programme orthopédagogique sur le rendement des élèves, in Enfance en difficulté, vol. 8, février 2021, pp. 95-126
Boyer, C. (2010) : Le programme orthopédagogique DIR en lecture – L’intervention intensive en lecture. Québec : Les éditions de l’apprentissage.

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