Réactiver les prérequis nécessaires à la compréhension d’une nouvelle séquence fait partie de la phase dite de mise en situation telle que prônée par l’enseignement explicite, au même titre qu’une bonne accroche suivie de la présentation des objectifs d’apprentissage et des résultats escomptés  (Gauthier, C. & Bissonnette, S., 2024, pp 69 à 72).

UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE LA MISE EN SITUATION

Des trois composantes que nous venons de citer, les prérequis représentent la plus importante. S’ils ne sont pas réactivés ou, pire encore, s’ils font défaut, l’enseignant va perdre l’attention d’une bonne partie des élèves ce qui entraînera une dégradation de la qualité d’écoute et de bon comportement de l’ensemble du groupe. En l’absence de réactivation des notions de base, les résultats obtenus aux tests de fin de séquence obtiendront très certainement des scores plus faibles que si le rappel des préalables avait eu lieu.

TAUX MOYEN DE COUVERTURE DES PROGRAMMES SCOLAIRES

Est-ce un processus nécessaire ? La réponse est affirmative puisque les études démontrent que la couverture effective des programmes annuels n’atteint jamais le taux de 100%. Selon l’étude TALIS, par exemple, la moyenne se situe à 87% dans les pays de l’OCDE (Etude TALIS, 2018).

Dans cet article de blog, nous souhaitons partager le témoignage de M. Serge Kouzué, enseignant de physique. Ce qu’il a vécu dans sa classe d’élèves pré gymnasiaux âgés de 14 ans, illustre la problématique de l’insuffisance des compétences requises au moment de commencer une nouvelle séquence du programme. Son exemple illustre aussi la stratégie qu’il est possible d’adopter pour remédier à pareille situation plutôt que de se résigner.

COURS SUR LES ORDRES DE GRANDEUR

Alors qu’il a moins de cinq ans d’expérience à son actif, notre enseignant physicien doit aborder dans son cours la thématique des ordres de grandeur qui se caractérisent par trois échelles :

  • Astronomique
  • Humaine
  • Microscopique

Comment comparer le diamètre de la Terre à celui d’une balle de tennis ?

EXPRIMER UNE GRANDEUR EN LANGAGE SCIENTIFIQUE

Si, dans le langage de tous les jours on peut se contenter de dire que la taille d’une cellule de la peau est nettement plus petite que la distance de la Terre à la Lune, les physiciennes et les physiciens doivent, de leur côté, pouvoir exprimer cette différence de façon véritablement quantifiable.

La mesure des échelles astronomique, humaine et microscopique s’exprime en puissances de 10. Quand on doit effectuer des comparaisons, des calculs, il faut pouvoir exprimer ces ordres de grandeur à l’aide d’une notation spécifique. Lors de sa première année d’enseignement, M. Kouzué se rend compte – avec un certain retard – que les 2/3 de ses élèves ne maîtrisent pas ou pas suffisamment ces notions et compétences.

En théorie, l’addition, la soustraction, la multiplication et la division des puissances de 10 sont censées être étudiées en cours de mathématiques au cours de l’année précédant ce chapitre du programme de physique.

COMPOSANTES DU PROGRAMME NON (ASSEZ) TRAVAILLÉES

La première fois qu’il a eu la charge de cette séquence, M. Kouzué s’est contenté en toute bonne foi d’enseigner le contenu prévu par le curriculum de physique. Ce n’est qu’après avoir fait passer les évaluations sommatives de fin de chapitre qu’il a posé des questions à ses élèves, recoupé leurs témoignages avant de les vérifier auprès de ses collègues. Le constat est devenu très clair : une grande partie des élèves n’avaient pas suffisamment travaillé les points du programme pourtant indispensables à la compréhension de son cours.

RÉ-ENSEIGNER DES NOTIONS DE MATHÉMATIQUES

Se fiant aux préceptes de l’enseignement explicite dont il a entendu parler, M. Kouzué décide alors de consacrer du temps pour ré-enseigner ou revoir les notions qui constituent les prérequis de la séquence en question.

En prévision de sa deuxième année d’enseignement, notre enseignant physicien va jusqu’à rédiger durant ses vacances un fascicule de théorie et d’exercices en lien avec cette partie du programme. Et c’est décidé : il prendra le temps nécessaire pour transmettre à ses jeunes élèves les compétences qui permettent de jongler avec les données propres aux mondes de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.

Pour y parvenir, il est primordial de se souvenir comment représenter plus simplement les nombres 0,001 et 1’000’000 en langage mathématiques simplifié, en faisant appel aux puissances de dix.

Il convient ensuite de rappeler ce qui se passe lorsque l’on additionne, soustrait, multiplie ou divise ces puissances de 10. Les transformations qui en résultent doivent être apprises, leur application contrôlée et entraînée – voire surentraînée – jusqu’à l’acquisition de toute la fluidité souhaitée.

COMPRENDRE, APPRENDRE, ENTRAÎNER LA FLUIDITÉ

L’enseignant consacre ainsi deux cours entiers à ces contenus pour que ses élèves découvrent, redécouvrent, entraînent et maîtrisent la notation des puissances de dix ainsi que leur traitement (addition, soustraction, multiplication, division et élévation à une puissance). Les jeunes doivent pour cela exécuter des exercices en classe, d’abord en pratique dirigée puis en pratique individuelle. Ils y consacrent aussi du temps lors des devoirs à domicile. M. Kouzué veille toutefois à ce que les devoirs ne comportent pas de difficultés plus grandes que celles traitées pendant les cours.

Après cette incursion dans le champ des mathématiques, l’enseignant peut revenir aux problématiques plus spécifiquement liées à la physique. Il s’agit, notamment, de la notation scientifique qui est un élément-clé de la séquence.

NOTATION SCIENTIFIQUE

La bonne maitrise de la structure de la notation scientifique – et plus particulièrement l’intervalle du chiffre à gauche de la virgule dans la mantisse – joue un rôle fondamental pour déterminer l’ordre de grandeur des phénomènes ou des objets étudiés.

Si ce chiffre est compris entre 1 et 4, l’ordre de grandeur correspondra à la puissance de dix de ce nombre, soit 10n. Si ce chiffre est compris entre 5 et 9, l’ordre de grandeur sera la puissance de 10 de ce nombre incrémenté de 1, soit 10n+1.

En résumé, la valeur de « a » dans la mantisse est déterminante car c’est elle qui permettra de définir avec précision l’ordre de grandeur de toutes choses.

On peut maintenant reprendre la problématique de départ, à savoir : Comment comparer le diamètre de la Terre à celui d’une balle de tennis ? Le tableau ci-après résume les étapes à suivre.

LES ORDRES DE GRANDEUR COMME OUTILS DE COMPARAISON

Ayant déterminé les ordres de grandeur dans le tableau ci-dessus, l’enseignant montre comment s’en servir pour comparer convenablement la taille de deux objets différents. L’opération revient à effectuer une division des ordres de grandeur, donc des puissances de 10.

Cela s’opère en divisant l’ordre de grandeur le plus grand par l’ordre de grandeur le plus petit.

En se référant aux valeurs du tableau qui précède, cela donne  :

Il est alors possible de conclure que la planète Terre est 108 fois plus grande qu’une balle de tennis. Autrement dit, la Terre est 100 000 000 de fois plus grande.

Tennis ball on night world in outer space abstract wallpaper

Nous avons demandé à Monsieur Serge Kouzué, s’il pensait avoir bien fait de réactiver – voire de ré-enseigner – ces prérequis relevant du programme de mathématiques de l’année précédente.

BÉNÉFICES LIÉS AU RÉ-ENSEIGNEMENT DES PRÉREQUIS

Il nous a répondu en énumérant les aspects suivants :

  • Le climat de travail est devenu nettement plus positif que les années où la réactivation n’avait pas été appliquée.
  • Le pourcentage moyen d’élèves en échec (60%) antérieur au projet de ré-enseignement s’est inversé.
  • Les relations avec l’enseignant ont gagné en estime et en confiance.
  • Certains élèves d’autres classes demandent dorénavant de pouvoir rejoindre le groupe de cet enseignant
  • D’anciens élèves sont revenus le voir deux ans plus tard pour lui dire qu’ils profitaient encore de ces rappels lors des cours de physique donnés au secondaire II (gymnase).

En conclusion, nous pouvons ainsi affirmer que cet exemple démontre de manière probante la pertinence de la recommandation faite par les théoriciens de l’enseignement explicite : il ne faut pas hésiter à consacrer le temps nécessaire à la réactivation des connaissances préalables. Contrairement au cas de figure dont nous venons de parler, il s’agit généralement d’un temps assez court mais toujours indispensable, qui génère un fort retour sur investissement.

ÉTUDES CITÉES OU CONSULTÉES :

Gauthier, C., Bissonnette, S. (2024) : Enseignement explicite et données probantes. 40 stratégies pédagogiques efficaces pour la classe et l’école. Montréal : Chenelière Education.

OCDE (2019), Résultats de TALIS 2018 (Volume I) : Des enseignants et chefs d’établissement en formation à vie, TALIS, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5bb21b3a-fr.

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