QUELQUES BALISES À CONNAÎTRE AVANT D’ABORDER LES RÉFORMES

πάντα χωρεῖ καὶ οὐδὲν μένει – Tout passe et rien ne demeure

Héraclite

Dès lors que le changement – exprimé il y a 2500 ans dans la célèbre formule d’Héraclite – est inéluctable, une directrice ou un directeur d’établissement scolaire se voit contraint de s’y adapter sous peine de commettre une erreur potentiellement lourde de conséquences.

Marzano et alii (2016) précisent qu’une bonne adaptation au changement dépend de la faculté qu’a la direction d’en juger l’étendue : changements subtils et progressifs (dits de « premier ordre ») ou changements profonds (de « deuxième ordre ») ?

PROBLÈMES DE NIVEAU I, II OU III

Les changements de premier ordre sont rendus nécessaires par l’apparition de problèmes de niveau I et II. Ceux de niveau I sont des problèmes dont la résolution peut être amenée par des solutions traditionnelles. Ceux de niveau II, bien qu’il soit possible de les définir de manière assez précise, semblent ne pas avoir de solution claire et nette.

Les problèmes de niveau III, quant à eux, ne peuvent être résolus par les manières de faire traditionnelles. Leur définition elle-même nécessite que l’on sorte des sentiers battus. Les stratégies à mettre alors en place pour les résoudre doivent à fortiori faire l’objet de recherches, déboucher sur des essais conduisant parfois à des échecs mais dont il convient de tirer parti pour mieux rebondir et trouver les solutions attendues.

Si Marzano prend la peine de relever les distinctions ci-dessus, c’est en vue de démontrer la nécessité pour une directrice ou un directeur de recourir à certaines « responsabilités » plutôt qu’à d’autres selon qu’il s’agit de relever des changements dits du premier ou du deuxième ordre. Le mot « responsabilités » est à comprendre ici au sens de « compétences » ou « aptitudes », telles qu’identifiées par Marzano et alii dans le début de leur ouvrage. (Voir à ce propos notre article de blog du mois de juillet 2023.)

Les aptitudes à mobiliser pour une réforme scolaire d’envergure sont au nombre de 7 parmi les 21 responsabilités identifiées dans la méta-analyse de Marzano et alii (2005, 2017).

Les chiffres entre parenthèses de la première colonne du tableau renvoient au classement des 21 responsabilités en regard de leur importance pour les changements de 1er ordre (cf. p. 80).

PREMIER CONSTAT : CE QUI EST COMMUN AUX DEUX ORDRES DE CHANGEMENTS

Tout d’abord « l’innovation » est primordiale. Le leader doit être un visionnaire qui sait passer du rêve aux actes. Il lui faut incarner la capacité à changer, à mettre en concordance les « théories professées » avec les « théories d’usage ».

Voici les aptitudes ou responsabilités communes aux changements de premier et de deuxième ordre :

LA SUPERVISION ET L’ÉVALUATION (i.e. surveiller constamment l’impact de l’innovation).

LES IDÉAUX ET LES CONVICTIONS (i.e. agir d’une manière compatible avec ses idéaux et ses convictions en ce qui concerne l’innovation).

LES CONNAISSANCES EN MATIÈRE DE CURRICULUM, D’ENSEIGNEMENT ET D’ÉVALUATION (i.e. connaître l’impact de l’innovation sur les pratiques relatives au curriculum, à l’enseignement et à l’évaluation, et offrir une orientation conceptuelle à cet égard).

SONT POUR AINSI DIRE INVERSÉES, TROIS DES SEPT APTITUDES OU RESPONSABILITÉS SUIVANTES :

Cette inversion provient du fait qu’elles sont importantes pour les profonds changements de 2ème ordre mais très peu importantes pour ceux du 1er ordre, plus mineurs. Les voici :

AGENT DE CHANGEMENT : Remettre en question le statu quo et être disposé à entreprendre l’innovation même si la réussite n’est pas assurée.

OPTIMISME : Être le moteur de cette innovation et entretenir l’idée qu’elle peut donner des résultats exceptionnels si les membres du personnel acceptent de s’impliquer.

FLEXIBILITÉ : Agir à la fois de façon directive et non directive par rapport à l’innovation, selon les exigences de la situation.

DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DES CHOIX ET ACCEPTER DE … DÉPLAIRE

Profonds, voués à opérer des mutations majeures, les changements de 2ème ordre nécessitent que l’on bouscule un certain nombre de convictions communes. La recherche de consensus forts, le respect des procédures de prises de décisions collégiales ainsi que de certaines traditions bien établies peuvent alors en souffrir et générer des souffrances de la part du personnel, voire des critiques envers le dirigeant ou la dirigeante.  

« Ce n’est pas le manque d’effort ni de motivation qui mine les écoles peu performantes, mais plutôt les mauvaises décisions quant au travail à entreprendre. Le problème des écoles peu performantes n’est donc pas de faire travailler les gens, mais bien de leur faire entreprendre le « travail approprié ».

Elmore, R.

SE RÉFÉRER À DES MODÈLES À SUCCÈS POUR SE PROTÉGER CONTRE L’ÉCHEC

Il est important d’avoir un projet d’établissement pertinent au moment d’entreprendre une réforme de deuxième ordre.

« Savoir ce qu’il faut faire est le principal problème en matière d’amélioration scolaire. La responsabilisation des écoles à l’égard de leur rendement exige qu’elles puissent compter sur des personnes ayant les connaissances, les compétences et le jugement nécessaires pour apporter des changements qui permettront d’améliorer le rendement des élèves », Elmore (2003), cité par Marzano (2016).

Parmi les projets d’établissement étudiés – appelés RSC « Réforme scolaire complète » aux USA – les plus populaires et les mieux étayés sont la Direct instruction, le School Developpment Programm et le programme « Success for all ».

NE PAS NÉGLIGER LES COÛTS

Le changement implique l’engagement de frais spécifiques. Selon Marzano « Les coûts relatifs au personnel pour la première année oscillent entre 0.- et 208’361.- dollars ». Le coût médian d’un des projets passés en revue est de 13’023.- US dollars.

Les autres coûts non-relatifs au personnel se situent entre 14’585.- et 780’000.- dollars dont un coût médian de 79’926.- US dollars.

PLUS IMPORTANT ENCORE QU’UN MODÈLE, LA CAPACITÉ DE L’ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS LOCALES

Dans 35% des études analysées, le groupe des établissements qui n’avaient pas utilisé de modèle pré-conçu a obtenu de meilleurs résultats que le groupe l’ayant adopté.

Dans 54.9% des cas, le résultat a été modeste avec une taille d’effet se situant entre 0.00 et 0.99.

Pour 10% des cas étudiés, les résultats ont été forts à énormes. (De 1.00 à 7.83 TE)

Un phénomène étonnant réside dans le fait que bien des résultats se sont améliorés après la 5ème année dans plusieurs écoles.

Marzano estime que ce n’est pas que la persévérance qui paie, mais plutôt la capacité à adapter un modèle à la situation propre de l’école. (Cf. étude de Hall et Hord (1987), Hord, Rutherfood, Huling-Austini et Hall 1987).

COMMENT CONCEVOIR UN MODE D’INTERVENTION TENANT COMPTE DE LA SITUATION PARTICULIÈRE DE L’ÉTABLISSEMENT ?

Si l’un des enjeux majeurs d’une réforme consiste à l’adapter aux spécificités locales, Marzano recommande d’adopter une série de lignes directrices qu’il appelle facteurs. Il les limite volontairement à 11 en excluant ceux qu’il juge trop coûteux. Tout en sachant que ce serait l’idéal, il exclut d’office le projet de payer un tuteur pour chaque élève, à titre d’exemple.

FACTEUR 1 : ADOPTER UN CURRICULUM (PLAN D’ÉTUDES) GARANTI ET VIABLE.

Les plans d’études et les programmes devraient se concentrer sur l’essentiel et faire l’objet d’une concertation entre les différents enseignants pour constituer ce corpus, mais aussi pour veiller à ce qu’il soit couvert de façon rigoureuse.

FACTEUR 2 : FIXER DES OBJECTIFS STIMULANTS ET DES RÉTROACTIONS EFFICACES

Cela implique, entre autres tâches, d’établir des objectifs de rendement précis et ambitieux pour l’école dans son ensemble et en assurer le suivi ; mais aussi d’établir des objectifs de rendement précis et ambitieux pour les élèves, et en assurer tout autant le suivi.

FACTEUR 3 : SOLLICITER L’ENGAGEMENT DES PARENTS ET DE LA COMMUNAUTÉ

Mesures concrètes possibles :

« Établir des moyens de communication entre les écoles, les parents et la communauté

Établir de multiples façons pour les parents et la communauté de participer au fonctionnement quotidien de l’école

Établir des organes de gouvernance qui favorisent l’engagement des parents et des membres de la communauté. »

FACTEUR 4 : ŒUVRER À L’INSTAURATION D’UN ENVIRONNEMENT SÉCURITAIRE ET ORDONNÉ

Cela implique la mise en place d’un train de mesures visant à clarifier les exigences en termes de respect, de comportements visant à la sécurité de chacun ainsi que les conséquences liées aux infractions. Ne pas oublier un dispositif qui permet d’identifier et de suivre les élèves présentant des faiblesses pouvant conduire à des incidents graves.

FACTEUR 5 : COLLÉGIALITÉ ET PROFESSIONNALISME

On parle ici d’une politique qui vise à rendre les enseignant·e·s toujours plus outillé·e·s dans leurs pratiques professionnelles en recourant à la formation continue, sans oublier tout ce qui permet de favoriser l’émergence d’une communauté solidaire, soucieuses d’harmoniser les pratiques d’intervention auprès des élèves et de partager des valeurs communes.  

FACTEUR 6 : IDENTIFIER ET PROMOUVOIR LES BONNES STRATÉGIES PÉDAGOGIQUES

Il s’agit bien évidemment de ne pas éluder les questions qui renvoient aux bonnes méthodes et aux bons gestes pédagogiques, tels qu’ils ont été identifiés par des chercheurs se basant sur des analyses et des études de grande envergure.

FACTEUR 7 : VISER UNE GESTION DE CLASSE OPTIMALE

Cela passe par une grosse demi-douzaine de clarifications et d’exigences visant à harmoniser autant que possible les exigences en termes de bons comportements ayant trait, cette fois-ci, aux comportements durant les cours, tant pour ce qui concerne les élèves que les enseignant·e·s.

Là encore, il s’agit de se référer à ce que préconisent les recherches, notamment en ce qui concerne un bon équilibre entre indifférence et trop grande proximité avec les élèves.

FACTEUR 8 : MISE EN ŒUVRE DU PROGRAMME EN CLASSE

Il s’agirait ici de réfléchir aux notions et compétences dont l’acquisition est indispensable et de les distinguer de celles qui sont moins importantes, les premières faisant l’objet d’un enseignement partagé par plusieurs disciplines et plusieurs fois répétées.

FACTEUR 9 : ENVIRONNEMENT FAMILIAL

Les familles représentent des alliés potentiels qu’il convient de mobiliser le plus possible. Cela passe par un dialogue et des rencontres régulières ainsi que des interventions plus ciblées, notamment lorsque le milieu familial démontre qu’il a besoin de l’aide de professionnels pour l’aider à remplir ses tâches éducatives.

FACTEUR 10 : INTELLIGENCE ACQUISE ET PRÉ-ACQUIS.

On n’apprend pas seulement en classe mais encore en visitant des musées, en voyageant, en assistant à des spectacles, en lisant régulièrement des ouvrages de qualité. Ces expériences favorisent et consolident les acquis en permettant d’effectuer des actions qui leur donnent du sens et de la profondeur.

FACTEUR 11 : FAVORISER LA MOTIVATION DES ÉLÈVES

Cela implique de passer par les actions suivantes (citées in extenso) :

  • Donner aux élèves une rétroaction sur leurs progrès en ce qui concerne les connaissances acquises.
  • Proposer aux élèves des tâches et des activités intrinsèquement intéressantes.
  • Fournir aux élèves des occasions de se consacrer à des projets à long terme conçus par eux.
  • Renseigner les élèves sur la dynamique de la motivation et sur la façon dont elle les influence.

On le voit, la liste est non seulement longue mais l’engagement dans une réforme nécessitent encore d’autres aptitudes qui feront l’objet d’un autre article à venir.

OUVRAGES CITÉS OU RÉSUMÉS DANS L’ARTICLE

Elmore, R. (2003). Knowing the Right Thing to Do: School Improvement and Performance-based Accountability. Washington, DC : NGA Center for best practices.

Marzano, R. J., Waters T. et McNulty B. (2016) : Leadership scolaire, De la recherche aux résultats. Québec: Presses de l’université du Québec.

Marzano, R. J., Waters T. et McNulty B. A. (2005) : School Leadership That Works: From Research to Results. Alexandria, VA: Association for Supervision and Curriculum Development.

Marzano, R.J., Kendall, J.S et Gaddy, B.B. (1999). Essential Knowledge: The Debate Over what American Students should know. Aurora, CO : Mid-continent Research for Education and learning.

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