Eduquer un enfant en 2023, avec, en toile de fond, la Convention des Nations-Unies des droits de l’enfant (CNUDE) ainsi que les conseils et recommandations de la psychologie positive représente parfois un véritable casse-tête.

Certains parents se retrouveraient au bord de la crise de nerf et des thérapeutes françaises tirent la sonnette d’alarme. « Je peux, dit l’une d’elles, mettre à votre disposition plusieurs centaines de témoignages de parents qui se sont retrouvés dans des situations familiales infernales parce qu’il ne fallait pas dire non, parce qu’il faut obtenir le consentement de l’enfant, ne jamais élever la voix, parce que le laisser pleurer quelques minutes pour qu’il apprenne à s’endormir sans son parent épuisé pourrait irrémédiablement griller son cerveau par décharge de cortisol […] ».

LE BURN-OUT PARENTAL

Le thème est incontestablement dans l’air du temps au point que Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam ont cosigné en 2017 déjà un ouvrage sur le burn-out parental. Sans accuser la psychologie positive pour autant, elles relèvent néanmoins que la Convention CNUDE de 1989 et le rapport d’experts de 2006 ont mis une pression – jusque-là inédite dans l’histoire de l’humanité – sur la responsabilité de la mère et du père dans l’éducation des jeunes enfants, de leur santé et de leur bien-être.

LA PARENTALITÉ POSITIVE DANS LE RAPPORT D’EXPERTS DE 2006

Mandatés par l’Europe, un comité d’experts publie un rapport en 2006 qui explicite le concept de parentalité positive :

« Nous définissons la parentalité positive comme une parentalité qui respecte et soutient les droits de l’enfant tels qu’énoncés dans la CNUDE.

À ce titre, elle est fidèle aux principes de la non-discrimination, de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les actions le concernant, du droit de l’enfant à la survie et au développement dans toute la mesure du possible et du respect des opinions de l’enfant. Daly, M. (2006) La Parentalité Positive dans l’Europe Contemporaine, p. 10.

Je me revois pétrifiée face aux cris de mon bébé dans son lit que je laissais quelques minutes pour souffler en me demandant si les dommages du cortisol seraient irrémédiables.

Une maman fragilisée par les réseaux sociaux

LES INJONCTIONS GLANÉES SUR INSTAGRAM

Les concepts d’éducation et de parentalité positive vont être diffusés depuis lors par une série d’ouvrages de conseils à destination des nouveaux parents, mais aussi via les réseaux sociaux. Voici, par exemple, le témoignage d’une mère qui s’estime en avoir été la victime : « Vous n’avez pas idée à quel point l’éducation positive et bienveillante (et/ou la façon dont elle est véhiculée) m’a plongée dans un bain d’angoisse et de culpabilité les premières années de mes enfants. […] Le tableau est clair : je vis une grossesse simple et calme, le bébé arrive avec son lot d’épuisement et d’interrogations “normal” […] Comme tous les nouveaux parents, je tombe via Instagram […] sur les préceptes de l’éducation positive et bienveillante.

Je me revois pétrifiée face aux cris de mon bébé dans son lit que je laissais quelques minutes pour souffler en me demandant si les dommages du cortisol seraient irrémédiables. […] Je me revois encore expliquer comme un bon petit soldat à mon mari : tu sais un bébé ne comprend pas le « non » et « la négation » et on se creusait la tête pour trouver les bonnes formules positives […].

Je me revois aussi m’énerver face à mon entourage qui essayait parfois de proposer d’autres solutions au portage qui ne fonctionnait pas, face à l’allaitement et au cododo qui m’épuisaient littéralement, face à mon angoisse de traumatiser mon bébé en le mettant à la crèche à 6 mois et non pas 12 ou 18 […] Tout ça parce que cela ne respectait pas les fameux préceptes du maternage proximal et je ne sais quelles injonctions vues et glanées partout sur Instagram ». (Témoignage recueilli dans les commentaires à l’article de blog de Franck Ramus).

CAROLINE GOLDMAN – L’ANTIDOTE ?

Cette maman aoute : « Au fur et à mesure des années qui sont passées, du recul, de la sortie petit à petit du brouillard de la fatigue et de l’épuisement d’avoir des petits enfants rapprochés, j’ai commencé à comprendre que tout cela était un énorme mensonge et du gros bullshit culpabilisateur, inefficace.

Alors là-dessus, Caroline Goldman est apparue sur les réseaux sociaux en mode cavale, mais, bon Dieu, heureusement ! Elle en a sauvé plus d’un, de parents ! Et j’ajoute : des enfants ! Je reste perplexe sur certains de ses concepts psychanalytiques […] mais bon sang, elle dit les choses les plus simples que l’on sait tous au fond : de la douceur au quotidien et de la fermeté quand il le faut ! Et elle a tellement raison de dénoncer les dérives des coachs parentaux en sommeil, en éducation, qui font un business scandaleux ! »

FRANCK RAMUS, CAROLINE GOLDMAN ET LES DONNÉES PROBANTES

Franck Ramus s’est signalé dans le monde universitaire français par son refus d’adhérer à des thèses qui n’étaient pas fondées sur des preuves scientifiques et c’est pour ça qu’on l’apprécie et le suit.

Le bon sens de Caroline Goldman, par conséquent, il s’en méfie sans pour autant valider les thèses de la partie adverse.  Ce qu’il nous propose – en se référant aux conseils de Caroline Goldman – c’est de nous faire partager ce que la recherche scientifique dit à propos du « Time out », expression empruntée à l’anglais qui définit la mise à l’écart d’un enfant dans le but de le calmer.

LE TIME OUT, QU’EST-CE ?

Dadds & Tully, (2019) le définissent comme « toute procédure qui vise à réduire le comportement inacceptable de l’enfant en lui imposant une réduction des renforçateurs disponibles pendant une période brève bien définie, conditionnée au comportement inacceptable ».

Concrètement, il peut s’agir de

  • cesser momentanément de prêter attention à l’enfant,
  • le faire asseoir sur une chaise particulière
  • le placer dans un coin de la pièce
  • lui demander d’attendre dans une autre pièce.

EFFETS RECHERCHÉS PAR LE TIME OUT

Il y a trois ou quatre buts que l’adulte vise à travers la pratique du time out :

  1. Placer l’enfant à l’écart des stimulations qui suscitent ou renforcent le comportement indésirable, c’est l’effet d’extinction
  2. Confronter l’enfant à une conséquence aversive pour l’inciter à ne pas récidiver
  3. Offrir au sujet un espace et un temps de calme censés le faire revenir à un état de meilleur équilibre émotionnel, lui permettre de retrouver ses esprits
  4. Inciter l’enfant à réfléchir sur son comportement, aux causes qui l’ont provoqué afin d’éviter de le reproduire à l’avenir.

Franck Ramus conteste l’efficacité des points 4 et 2, au motif principal que les sanctions ne remplacent pas un véritable enseignement des bons comportements.

QUE DISENT LES DONNÉES PROBANTES À PROPOS DU TIME OUT ?

Selon une métaanalyse de 2019, menée par Leijten et alii, les interventions parentales les plus efficaces sont :

  1. Celles qui s’appliquent à enseigner explicitement les bons comportements et qui les renforcent par des encouragements
  2. Celles qui réagissent aux comportements des enfants en les soumettant aux conséquences logiques de leurs actes.

A propos du Time-out ou temps mort, les auteurs font remarquer que cette pratique a des bons effets quand elle intervient en complément d’autres démarches d’enseignement des bons comportements et qu’on la retrouve plus souvent citées dans les démarches efficaces que dans celles qui ont moins d’effets positifs.

LE TIME OUT PEUT-IL ÊTRE NÉFASTE OU DANGEREUX ?

Franck Ramus est clair sur ce sujet : « Les recherches portant sur les effets du temps-mort ont montré qu’il n’engendrait pas d’effets délétères pour l’enfant, y compris chez les enfants ayant déjà des antécédents de traumatismes ou maltraitances (Dadds & Tully, 2019) ».

En revanche, fait-il remarquer, nombreux sont les parents qui l’utilisent à mauvais escient. La durée de la suspension ne devrait pas excéder les 5 minutes, ajoute Ramus, en veillant à appliquer les plus importantes des recommandations de Dadds et Tully (2019):

  1. Le temps-mort doit être utilisé uniquement pour punir des comportements opérants ou délibérés sur lesquels l’enfant a un certain contrôle. Il ne doit pas être utilisé pour les comportements qui reflètent une incapacité à accomplir une action, un manque de compréhension, une erreur, la peur ou d’autres émotions bouleversantes.
  2. L’efficacité du temps-mort se juge à la réduction objective et rapide des comportements problématiques, et donc à la réduction de la nécessité de l’utiliser.
  3. Le comportement parental pendant l’administration du temps-mort doit donner à voir un modèle de comportement calme et propice à l’attachement.
  4. L’utilisation du temps-mort doit faire partie d’une méthode comportementale complète promouvant une relation chaleureuse et satisfaisante, et incluant l’enseignement explicite des comportements dont on souhaite qu’ils remplacent les comportements problématiques.
  5. Le temps-mort doit être utilisé pour des comportements prédéfinis et explicités à l’enfant comme étant inappropriés. Ces comportements doivent pouvoir être ouvertement discutés pendant des temps positifs distincts des punitions, dans un cadre rassurant permettant la définition commune des valeurs partagées par la famille concernant ce qui est bon et ce qui est juste.

AUTRES RECOMMANDATIONS PLUS GÉNÉRALES CONCERNANT LES INTERVENTIONS CORRECTIVES

On quitte maintenant Franck Ramus et son blog pour revenir au rapport d’experts de 2006.

En se référant à une étude de Power et Hart (2005) les auteurs valident quatre interventions constructives adaptées aux enfants en âge scolaire : 

  • Le dialogue réprobateur : Un dialogue calme et ferme mené avec les enfants et les adolescents pour expliquer les détails de leurs actions, pratiques et conduites indésirables.
  •  La réparation des dommages causés et la rectification des mauvaises actions : Demander à l’enfant de réparer les dommages qu’il a pu causer et de faire amende honorable pour ses méfaits semble faire partie des méthodes non violentes efficaces pour la discipline préventive des enfants.
  • La restriction des privilèges : Cette mesure peut apprendre à l’enfant à peser lepour et le contre avant de respecter ou d’enfreindre un accord. Ces restrictions nedoivent cependant affecter en rien les droits fondamentaux de l’enfant – par exemple, celui de manger et de ne pas être soumis à un travail forcé. Ici, « privilèges » signifie, par exemple, ne pas regarder tel ou tel programme de télévision favori ou ne pas rencontrer ses amis.
  • Les services à la collectivité : Cette solution consiste à effectuer un travail bénévole sur de brèves périodes dans des institutions d’aide publique (hôpitaux et écoles, par exemple) (Daly, M. 2006, p.47)

POUR CONCLURE

Sanctionner n’est pas synonyme d’éduquer, quand bien-même les interventions correctives font partie du processus. Mais l’éducation englobe toute une série d’opérations aussi diverses que variées qui ont fait couler beaucoup d’encre et de salive et ce, depuis des siècles. Il est temps que la recherche scientifique s’y penche et que l’on puisse se faire une idée plus objective sur ces questions, afin d’identifier quels sont les bons gestes qui permettront aux parents et aux éducateurs de préparer les citoyennes et les citoyens de demain.

OUVRAGES ET SITES CONSULTÉS OU CITÉS

Dadds, M. R., & Tully, L. A. (2019). What is it to discipline a child : What should it be? A reanalysis of time-out from the perspective of child mental health, attachment, and trauma. American Psychologist, 74(7), 794‑808. https://doi.org/10.1037/amp0000449

Daly, M. et alii. (2006) « Evolution de la parentalité : Enfants Aujourd’hui, Parents Demain » La Parentalité Positive dans l’Europe Contemporaine. Conseil de l’Europe. Lisbonne. Consultable ici : https://documentation.reseau-enfance.com/IMG/pdf/2006PositiveParentingMDrep_fr.pdf

Goldman, C. (2020). File dans ta chambre ! : Offrez des limites éducatives à vos enfants. InterEditions.

Leijten, P., Gardner, F., Melendez-Torres, G. J., van Aar, J., Hutchings, J., Schulz, S., Knerr, W., & Overbeek, G. (2019). Meta-Analyses : Key Parenting Program Components for Disruptive Child Behavior. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 58(2), 180‑190. https://doi.org/10.1016/j.jaac.2018.07.900

Mikolajczak, M. , Roskam, I. (2017) Le Burn-out parental – L’éviter et s’en sortir, Paris, Odile Jacob.

Power, C. Hart, S., N. (2005): The way forward to constructive child discipline, Eliminating corporal punishment: the way forward to constructive child (p. 91-128), UNESCO.

Ramus, F. (2023) Pour ou contre le « time-out » ? Ce que disent les recherches scientifiques, consulté ici : https://scilogs.fr/ramus-meninges/time-out/ le 29 avril 2023.

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