Les équipes collaboratives, dont font partie les communautés d’apprentissage professionnel (CAP) peuvent être un outil puissant. Pour qu’elles déploient tous leurs effets, il faut cependant qu’elles respectent un certain nombre de règles.

FORCE ET LIMITES DES CAP

Ces règles sont énoncées dans l’article : Quelles sont les limites des communautés d’apprentissage professionnelles ? Le marteau et le clou : regard critique sur les communautés d’apprentissage professionnelles paru dans l’ouvrage Gauthier. C., Bissonnette S., Bocquillon, M. : Questions pratiques et théoriques sur l’enseignement explicite, Québec 2022

Au cours de notre publication, nous souhaitons vérifier ici en quoi la narration d’une expérience réelle d’accompagnement d’équipe illustre – ou contredit – les assertions contenues dans l’article.

Dans notre classe, pas possible d’enseigner plus de dix minutes sans être interrompu par des élèves qui refusent de travailler. 

Un enseignant d'une classe d'adolescents très compliquée

« PAS POSSIBLE D’ENSEIGNER PLUS DE 10 MINUTES DANS CETTE CLASSE ! »

Dans le cadre d’un suivi d’équipe pédagogique autour d’une classe d’élèves très faibles de 12-13 ans, nous devions aborder des sujets théoriques ayant des retombées directes et immédiates sur le vécu des enseignant·e·s. Au bout d’une heure de formation, l’une des personnes lança : « Vos conseils sont judicieux mais comment pouvons-nous les appliquer ? Dans notre classe, pas possible d’enseigner plus de dix minutes sans être interrompu par des élèves qui refusent de travailler. »

Pendant la pause, il fut convenu que la suite du programme serait différée au profit d’une séance de partage des difficultés et préoccupations.

LIBÉRATION DE LA PAROLE ET FIXATION D’OBJECTIFS

Durant les 120 minutes qui ont suivi, la parole d’abord auto-réprimée a été libérée. Les sujets de préoccupation relatifs au groupe-classe ainsi qu’aux élèves les plus perturbateurs ont été verbalisés. Les discussions furent par moments assez vives et certaines résistances à apporter des solutions concrètes aux problèmes n’ont pu être surmontées que par le recours à des techniques validées par la recherche. Les précieux outils du coaching de groupe ont permis de dégager des axes de travail concrets ainsi qu’un calendrier d’opérations.

A retenir de cet épisode vécu :

  1. L’importance des techniques destinées à libérer la parole de tous les participant·e·s
  2. Les nombreuses informations concrètes qui ont alors émergé
  3. La tentation pour certaines personnes de rester dans le narratif et leur résistance à formuler ou valider des axes de travail
  4. Le rôle majeur du coach dans
      • La levée des résistances,
      • La formulation de synthèses
      • La proposition d’axes de travail fondés sur des données probantes
      • Leur validation par vote à la majorité simple
      • La mise à disposition d’outils facilitant la réalisation des objectifs
      • La rédaction d’un compte-rendu de séance.

TÂCHES SIMPLES, COMPLEXES, VOIRE TROP COMPLEXES ?

« Si on ne sait pas quoi, comment et où chercher, on ne trouvera pas plus à plusieurs que tout seul. » disent les auteurs de l’étude (p. 133). C’est pourquoi ils recommandent l’intervention d’une personne extérieure qui, elle, dispose des connaissances susceptibles de faire avancer les choses dans le bon sens.

Concernant l’exemple sur lequel nous nous appuyons, les enseignant·e·s partaient de très loin. Ils supportaient en silence des conditions de travail où, en arrière plan, un malaise circulait de manière diffuse, sans que la majorité d’entre eux n’identifie la véritable gravité des dysfonctionnements. Probablement parce que la situation s’était dégradée de façon progressive. Ces enseignant·e·s ressemblaient à des grenouilles plongées dans une casserole chauffant toujours plus fort, menaçant de les faire cuire à petit feu et à leur insu…

L’article auquel nous nous référons cite des missions assignées aux équipes collaboratives qui sont nettement plus ambitieuses encore. Au Québec, par exemple, le projet CAR leur demande de :

  • Cibler les apprentissages essentiels à réaliser par les élèves 
  • Choisir ou créer les outils d’observation qui serviront à recueillir des données d’observation à propos de ces apprentissages […]
  • Concevoir la tâche d’évaluation qui leur permettra de vérifier si les élèves ont atteint leur objectif à la fin de chaque séquence d’enseignement-apprentissage 
  • Analyser des données d’observation 
  • Discuter à propos de stratégies efficaces
  • Prendre des décisions pédagogiques
  • Planifier l’enseignement. CTREQ, projet CAR, 2018b cité par Gauthier, C. (2022), p. 134.

EN BELGIQUE, ON NE MANQUE PAS NON PLUS D’AMBITION 

« Le travail collaboratif avec d’autres membres du personnel et établissements, […]  est défini de la manière suivante : [I]l s’agit ici de réflexions collectives organisées par plusieurs enseignants concernant des préparations de leçons, des observations de leçons par des collègues, de co-titulariat pour certains cours, de réunions organisées pour échanger et construire les pratiques d’évaluation, de remédiation ou de dépassement, de réunions organisées pour harmoniser le cursus à travers plusieurs années d’enseignement, du temps passé pour le coaching d’un nouveau collègue, de réunions consacrées au co-développement d’un ensemble de collègues, de réunions dans le cadre du nouveau dossier d’accompagnement de l’élève… » Fédération Wallonie-Bruxelles, 2019b, annexe, p. 2, cité par Gauthier, C. (2022), p. 134.

Ne peut-on se poser à bon droit la question suivante : est-ce que les freins qui étaient à l’œuvre dans une réunion d’enseignant·e·s consacrée à des problèmes de gestion de classe sont censés ne pas exister quand il s’agit de parler pédagogie, rehaussement du niveau de participation des élèves aux cours et, plus largement, accroissement des résultats scolaires ?

De façon intuitive et en nous référant à ce que nous avons souvent observé, les freins à la prise de parole ou d’initiative renvoient tout d’abord à des questions de légitimité :

  • Qui suis-je, moi, simple prof, pour oser prendre la parole, pour affirmer qu’une situation doit être améliorée ou, à fortiori pour la qualifier d’inacceptable ?
  • Qu’est-ce qui m’autorise à poser un diagnostic sur mon expérience personnelle face aux élèves et sur celle de la majorité du groupe ?
  • Qui me donne le droit de réguler les prises de paroles, les temps d’intervention des uns et des autres ?
  • À qui accorder davantage de crédit dans l’analyse de la situation ? Aux plus ancien·ne·s, aux plus formé·e·s ?

Ce sont ensuite des questions de compétence :

  • Quelles pistes de travail sont conformes aux dispositions légales et règlementaires ?
  • Quelles solutions, quels outils sont validés par la recherche scientifique ? Y en a-t-il d’autres plus efficaces ? Auprès de qui trouver des informations ?
  • Qu’en est-il des aspects financiers liés au coût des moyens à engager pour améliorer la situation ?

LES CAPS OU L’INDISPENSABLE RÔLE DES PERSONNES-RESSOURCES

La levée de ces freins passe par la présence au sein des équipes collaboratives d’un ou de plusieurs professionnels de la formation, d’un représentant de la direction de l’établissement ou, à défaut, d’une personne qui a reçu un mandat de travail spécifique. Il s’agit là d’une condition nécessaire. Nécessaire mais pas toujours suffisante : les qualifications de cet·t·e intervenant·e doivent, elles aussi, être à la hauteur des défis et des enjeux soulevés pendant la réunion.

Il est intéressant de relever la convergence qui existe sur ce point entre nos observations et les recommandations des auteurs de l’article : « […] les enseignants de toutes les études ont indiqué que les résultats des élèves augmentent grâce à l’implication d’une aide extérieure, du directeur ou d’un facilitateur dans les CAP (Huggins et al., 2011 ; Saunders et al., 2009) », cités par Gauthier, C. (2022), p. 131.

LES CAPS NE REMPLACENT PAS LES AUTRES DISPOSITIFS DE FORMATION

Quand on parle des limites des équipes collaboratives, telles que les CAP, il convient de relever qu’elles ne peuvent remplacer les véritables formations qui proposent des contenus substantiels, validés par la recherche scientifique. Les unes et les autres se complètent au sein d’un concept de formation professionnelle de qualité.

Les auteurs en rappellent les principes, tels qu’énoncés par Mario Richard (2020) :

  1. Le développement professionnel (DP) devrait viser explicitement l’amélioration de l’apprentissage des élèves et être modulé à partir d’une évaluation systématique des résultats obtenus.
  2. Les activités de DP devraient être étayées par des données probantes et animées par des spécialistes dont l’expertise est reconnue.
  3. Le développement professionnel devrait prévoir une démarche d’accompagnement reposant sur le travail collaboratif.
  4. Le DP devrait être distribué dans le temps.
  5. Le développement professionnel des enseignants devrait être soutenu par une direction faisant preuve de leadership pédagogique. Cf. Richard, M. (2020), cité par Gauthier, C. (2022), pp. 128-131.

CONCLUSION

 Une bonne école travaille à la réussite d’un maximum d’élèves. Pour y arriver, elle se doit d’être une organisation apprenante où les énergies circulent autant de la base au sommet (bottom -> up) que des bureaux de la direction à l’intérieur des salles de classe (top -> down). Ces deux dimensions sont indissociables. Les équipes collaboratives – dont les CAP –  représentent un précieux rouage de cette mécanique à double sens, mais à la condition de ne pas les livrer les profs à eux-mêmes. Les membres de la direction des écoles doivent les consulter, entendre leurs demandes et suggestions, d’une part, autant que, d’autre part, leur proposer des aides, des orientations et un soutien quand ils en ont besoin pour avancer et traverser les moments difficiles. En un mot comme en cent, les directions doivent faire preuve de souplesse sans pour autant se décharger de leurs responsabilités mais en assumant au contraire le leadership qui leur est assigné.

OUVRAGES CITÉS OU CONSULTÉS DANS CET ARTICLE :

Gauthier. C., Bissonnette S., Bocquillon, M. (2022) Quelles sont les limites des communautés d’apprentissage professionnelles ? Le marteau et le clou : regard critique sur les communautés d’apprentissage professionnelles, Questions pratiques et théoriques sur l’enseignement explicite, Québec.

Gauthier. C., Bissonnette S., Bocquillon, M. (2022) : Questions pratiques et théoriques sur l’enseignement explicite, Québec.

Richard, M. (2018). Accroître l’expertise collaborative des enseignants. Education Canada.

Richard, M. (2020). Le rôle du développement professionnel dans la mise en œuvre du modèle de la réponse à l’intervention. Enfance en difficulté, 7, 51-78.

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