Nous résumons ici quelques points de l’article de Senden et Galand (2020), ces deux chercheurs qui ont publié en 2020 une synthèse de plusieurs études particulièrement bien documentées sur la thématique du harcèlement scolaire. Dans notre publication de décembre 2022, nous avons évoqué 3 des 6 modes d’intervention les plus couramment appliqués en cas de situations de harcèlement scolaire. Voici les 3 suivants.

4.1. LA MÉDIATION

Il s’agit d’un dispositif qui fait se rencontrer deux parties, généralement l’élève-cible et son agresseur, en présence d’un médiateur (adulte ou élève) dans le but de négocier une solution à leur conflit. 

4.2. Les six temps de la médiation

  1. Début de séance : L’élève-cible et son agresseur se présentent. Le médiateur explique le but de la médiation, son déroulement et fixe les règles à suivre : expliquer le problème sans blâmer ni condamner l’autre, en respectant ce qu’il dit et sans l’interrompre.
  2. Identification du problème et collecte d’informations : les participants racontent à tour de rôle leur version de l’histoire sans interruption.
  3. Focalisation sur les points communs : les souhaits des deux parties sont exprimés et les points de convergence sont mis en exergue.
  4. Trouver des solutions : les participants essaient généralement de trouver autant de solutions que possible à un problème par le biais d’un remue-méninge.
  5. Évaluation des options et sélection des solutions qui se révèlent mutuellement acceptables, c’est-à-dire des solutions qui répondent aux besoins des deux parties.
  6. Rédaction d’un accord et engagement à le soutenir. Un accord final définissant les rôles et les responsabilités des deux étudiants opposés est signé par tous.

4.3 Points forts et aspects critiques de cette méthode   

Les arguments plaidant en faveur de cette méthode sont la responsabilisation des élèves et l’incitation à gérer leurs conflits par eux-mêmes. Il y aurait à première vue une certaine logique à les inclure dans la résolution de la situation problématique étant donné l’importance du rôle que peuvent jouer les témoins de situations de harcèlement.

L’utilisation de cette méthode comporte toutefois des risques dus au déséquilibre de pouvoir qui prévaut dans la relation entre les deux parties concernées. L’élève auteur des violences peut se révéler réticent à solliciter ou à entrer dans une médiation tandis que son camarade cible aura tendance à la craindre, jugeant la séance potentiellement compliquée, intimidante et susceptible de susciter des railleries, voire des actes de vengeance de la part de l’assaillant et de ses camarades.

Plusieurs auteurs concluent que le harcèlement n’est pas assimilable à un simple conflit – étant donné ce déséquilibre entre les parties – et que la médiation n’est ainsi pas recommandée. D’autant plus qu’il n’existerait pas de données fiables quant à son efficacité.

5.1 LE RENFORCEMENT DE L’ÉLÈVE VICTIME DE HARCÈLEMENT

Comme son nom l’indique, cette façon d’intervenir consiste à donner à l’élève-cible des outils lui permettant de mettre fin à la situation de harcèlement :  développer sa confiance en soi, ses compétences verbales ou physiques, lui apprendre comment répondre au harcèlement via, par exemple, des jeux de rôles. Emmanuelle Piquet (2017), spécialiste francophone de cette façon d’intervenir, se propose « d’armer » les élèves-cibles en leur donnant des « flèches » (répliques, façons de se comporter. . .) pour répondre aux comportements de harcèlement.

5.2 Quelle est l’efficacité du renforcement de l’élève victime de harcèlement ?

D’après les auteurs de l’article, il n’existe pas de preuves empiriques qui pourraient attester de l’efficacité de cette méthode. Seuls des arguments théoriques peuvent être pris en compte. En théorie, cette méthode devrait marcher en raison de la très forte motivation des élèves-cibles à se sortir des difficultés dans lesquelles ils se trouvent et parce qu’ils bénéficient d’un fort soutien provenant des adultes qui s’occupent de régler sa situation.

5.3. Note de l’auteur du blog

Nous nous permettons de donner notre avis au sujet de cette méthode après avoir entendu et lu plusieurs conférences et ouvrages qui défendent cette manière de faire avec une assurance d’adultes campés dans leurs certitudes en évitant de les confronter à quelque donnée probante que ce soit.

Dans les écoles en zone d’éducation prioritaire, ce n’est pas aussi simple et conseiller à une victime de contre-attaquer pour s’imposer peut même représenter une mise en danger. Pour tout dire, nous jugeons cette méthode contestable parce que la victime, déjà affaiblie par les manifestations de harcèlement qu’elle connaît, doit encore prendre sur elle de changer son comportement, son langage, ses réactions, ce qui risque de ruiner le peu d’énergie qui lui reste. Autre risque : que les contre-attaques, les piques qu’on lui recommande d’utiliser ne fassent empirer la situation. Car des contre-attaques qui seraient particulièrement maladroites pourraient donner des justifications à l’agresseur et même obliger les adultes à condamner et à sanctionner la victime à un moment où, au contraire, elle doit pouvoir compter sur un soutien total du personnel de l’établissement.

Le point positif de ce dispositif est qu’on peut le faire intervenir dans le troisième temps de la gestion du harcèlement, le moment de suivi où l’on demande à tous de fournir des efforts pour que pareille situation ne se renouvelle pas. On travaille alors autant sur le harceleur, sur l’environnement (les témoins) que sur la victime, pour l’inciter souvent à fuir sans équivoque toute situation de menace ou de mauvais traitement.

6.1 LES PRATIQUES RÉPARATRICES

Cette méthode ne vise pas l’élève harcelé en tant que personne, mais cherche à traiter son comportement et à changer sa relation avec les autres. Le travail se fait lors de conversations ou de réunions informelles. Les harceleurs y sont considérés comme responsables de la situation, sans être punis pour autant. Dans la plupart des cas, des échanges ont lieu entre les élèves concernés, permettant à chacun de s’exprimer. D’autres personnes (élèves de la classe, parents d’élèves…) peuvent également être présents. On s’attend à ce que les élèves qui intimident s’excusent et suggèrent des actions pour compenser leurs actions. Les élèves victimes peuvent choisir d’accepter ou non ces actes.

6.2 Quelle est l’efficacité des pratiques réparatrices ?

Pour que cette méthode ait des chances de fonctionner, il faut que la situation incriminée soit claire, que tout le monde soit d’accord sur les faits, tels qu’ils se sont passés. Il est nécessaire que le harceleur soit disposé à faire amende honorable en acceptant par avance de demander pardon.

Un des points faibles de ce protocole réside dans le moment de rencontre entre le harceleur et l’élève-cible, confrontation qui peut s’avérer être très éprouvante, voire insupportable pour la victime.

CONCLUSIONS PROVISOIRES TIRÉES PAR SENDEN ET GALLAND

Voici quelques-unes de leurs conclusions (citations) :

« […] Il n’existe pour l’instant pas de données permettant d’avancer qu’une méthode d’intervention est, dans tous les cas, plus efficace pour gérer les situations de harcèlement (Garandeau et al., 2014 ; Wachs et al., 2018). En l’absence de davantage de données, le choix d’une méthode devrait se faire en fonction des caractéristiques de la situation (y compris l’avis de l’élève victime), du projet pédagogique de l’école et de la connaissance et compréhension que les professionnels ont des différentes méthodes (Rigby, 2012). Que se passe-t-il ? Qui est impliqué ? Que faire par rapport à chacune des personnes impliquées ? Selon quel timing ? Avec qui puis-je me concerter ? Etc. Cela implique que les adultes travaillant dans les écoles soient au courant de la diversité des réactions possibles et sachent comment les mettre en œuvre ou à quels collègues formés faire appel. »

Ces éléments de conclusion nous paraissent tout à fait pertinents. Après avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour protéger la victime, les responsables scolaires en charge du dossier doivent récolter des informations et effectuer une analyse approfondie de ce qui se passe pour décider quelle méthode sera la mieux appropriée pour assainir la situation et éviter la réapparition des phénomènes de harcèlement.

AUTRES DONNÉES MARQUANTES TROUVÉES DANS LA PUBLICATION DE SENDEN ET GALLAND

Dans une enquête menée en Allemagne par Wachs et al. (2018) auprès de 2000 élèves de 12 à 15 ans, ceux-ci ont estimé que seulement 1 cas de harcèlement sur 2 avait été traité par leurs enseignants.

LES SOUFFRANCES INVISIBLES (Remarques de l’auteur du blog)

Cette proportion de 1 cas de harcèlement sur 2 échappant à la vigilance des adultes de l’école, révélée par l’enquête de Wachs et al. (2018) doit nous inciter à la plus grande des modesties, d’une part. D’autre part, cela confirme le bien-fondé de toutes les personnes qui insistent pour que chaque alerte émanant de la part de victimes soit prise avec un maximum de considération et d’empathie.

UNE ENQUÊTE INTERNATIONALE QUI LÉGITIME LE BON SENS (citée par Senden et Galland)

Un questionnaire élaboré par Bauman, Rigby, et Hoppa (2008) portant sur le harcèlement a été passé auprès de 735 enseignants et conseillers aux États-Unis, 141 enseignants de secondaire en Finlande, 94 conseillers au Canada ainsi que de 625 enseignants en Autriche et en Allemagne. Les personnes interrogées ont dû s’exprimer sur ce qu’elles considéraient comme étant la bonne attitude à adopter face à des situations de harcèlement. Voici le classement des 5 options de base qui leur étaient proposées, par ordre de préférence :

  1. Sanctionner l’élève auteur de harcèlement.
  2. Impliquer d’autres adultes dans le règlement du problème.
  3. Intervenir auprès de l’élève auteur de harcèlement sans le sanctionner.
  4. Travailler avec la victime ; (Note : le faible score obtenu à propos de ce type d’intervention révèle une faible probabilité quant à son application en cas de situation réelle).
  5. Fermer les yeux et ne rien faire. (Note : Là encore, le score est si faible que les personnes interrogées considèrent cette option comme pratiquement inacceptable).

REMARQUES DE L’AUTEUR DU BLOG

Les pratiques efficaces des professionnels de l’éducation – on le voit à travers le classement des 5 interventions ci-dessus – se transmettent d’une génération à une autre, quel que soit le pays ou le continent. Lorsque l’on veut les améliorer – louable souci – il faut cependant bien veiller à ne pas paralyser les acteurs du terrain en leur donnant à croire que le bon sens n’a plus cours.

 LISTE DES OUVRAGES CITÉS DANS L’ARTICLE :

Ayers, S. L., Wagaman, M. A., Geiger, J. M., Bermudez-Parsai, M., & Hedberg, E. C. (2012). Examining SchoolBased Bullying Interventions Using Multilevel Discrete Time Hazard Modeling. Prevention Science, 13(5), 539–550. http://dx.doi.org/10.1007/s11121-012-0280-7

Bauman, S., Rigby, K., & Hoppa, K. (2008). US teachers’ and school counsellors’ strategies for handling school bullying incidents. Educational Psychology, 28(7), 837–856. http://dx.doi.org/10.1080/01443410802379085

Garandeau, C. F., Poskiparta, E., & Salmivalli, C. (2014). Tackling acute cases of school bullying in the KiVa anti-bullying program: A comparison of two approaches. Journal of Abnormal Child Psychology, 42(6), 981–991. http://dx.doi.org/10.1007/s10802-014-9861-1

Pikas, A. (2002). New developments of the shared concern method. School Psychology International, 23(3), 307–326. http://dx.doi.org/10.1177/0143034302023003234

Piquet, E. (2017). Le harcèlement scolaire en 100 questions. Paris: Tallandier.

Rigby, K. (2012). Bullying Intervention in Schools (Wiley). Chichester: West Sussex.

Rigby, K., & Griffiths, C. (2011). Addressing cases of bullying through the method of shared concern. School Psychology International, 32(3), 345–357. http://dx.doi.org/10.1177/0143034311402148

Senden, M., Galand, B. (2020). Comment réagir face à une situation de harcèlement à l’école ? Une synthèse de la littérature (How to react toward a bullying situation? A literature review). Pratiques Psychologiques. Novembre 2020. 27. 10.1016/j.prps.2020.09.006.

Wachs, S., Bilz, L., Niproschke, S., & Schubarth, W. (2018). Bullying Intervention in Schools: A Multilevel Analysis of Teachers’ Success in Handling Bullying From the Students’ Perspective. Journal of Early Adolescence, 39, 1–27. http://dx.doi.org/10.1177/0272431618780423

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