Il est désormais possible de consulter sur le Net un document historique étonnant. Il s’agit de la réponse officielle du gouvernement américain de 1978 à la question de la diffusion des conclusions du projet Follow Through. L’auteur de cette lettre n’est autre que Ernest Boyer, l’équivalent d’un Commissaire à l’Éducation de l’époque.

ORIGINE DU PROJET FOLLOW THROUGH (FT)
Pour mémoire, le projet FT a été financé par le gouvernement américain (U.S. Office of Education) pour donner une suite au projet Head Start, lui-même appelé à lutter contre la pauvreté et l’échec scolaire d’enfants de milieux défavorisés. L’opération Follow Through devait mettre en lumière les effets des méthodes d’enseignement sur cette population d’élèves.

STRATÉGIE
Les responsables du projet FT ont travaillé selon un modèle que l’on qualifierait aujourd’hui de partenariat public-privé. C’est ainsi qu’ils se sont adjoint les services de professionnels et spécialistes de l’éducation. Ceux-ci devaient  non seulement proposer un modèle d’enseignement spécifique mais encore le diffuser par leurs propres moyens. Cette diffusion devait s’accompagner d’une implémentation garantie par la formation des personnes concernées (enseignants, directions, parents, etc.), par la fourniture de supports techniques et pédagogiques. Elle comportait également un suivi destiné à garantir la qualité de sa mise en application.

AMPLEUR ET COÛT DU PROJET
178 communautés de toutes ethnies et de tous milieux socio-économiques ont pu opter pour la méthode de leur choix. 200’000 élèves furent testés et évalués sur une période s’étendant de 1967 à 1977 dans le cadre de ce projet d’envergure qui a coûté un demi-milliard de dollars.

RÉSULTATS DE L’ÉVALUATION
Au terme de l’étude, c’est une méthode de type behaviouriste, la Direct instruction, très proche de l’enseignement explicite, qui a remporté tous les succès. Les élèves qui en avaient bénéficié obtinrent les meilleurs résultats en maths, lecture, orthographe et aptitudes langagières mais aussi en termes d’estime de soi et d’attitudes face à l’apprentissage.

COMMENT DIFFUSER LA MEILLEURE DES MÉTHODES ?
Après une recherche aussi impressionnante et coûteuse, le Secrétaire à l’Éducation de l’époque fut interpellé à propos des conditions de dissémination de la bonne méthode dans les différents districts du pays. Et c’est là que les responsables du projet reçurent une réponse aussi inattendue qu’à peine croyable.

PAS DE REMISE EN QUESTION DES RÉSULTATS DE LA RECHERCHE.
Dans un premier temps, le Secrétaire à l’éducation Boyer semble valider les résultats de la recherche : « L’étude a révélé qu’un seul des 22 modèles évalués dans le cadre de la recherche produisait systématiquement des effets positifs ».

REMISE EN QUESTION DE L’OBJECTIF INITIAL DE LA RECHERCHE
Très vite cependant, il profite du fait que les écoles appliquant le même modèle n’ont pas toutes le même rendement – ce qui, soit dit en passant, est parfaitement normal – pour proposer de concevoir la situation différemment : «[…] alors que l’accent initial du programme avait été placé sur la conception et la mise en œuvre de modèles, les résultats nous obligent à porter davantage d’attention aux projets individuels réussis. »

QUI PAIE, COMMANDE
Le Commissaire à l’éducation ne s’embarrasse pas de critères reposant sur des données scientifiques, ni même sur des avis d’experts. Au mépris des résultats fournis par les recherches et les analyses, Boyer laisse entendre que la situation n’est pas gérable d’un point de vue politique : «Puisqu’il a été constaté qu’un seul des prestataires (celui de la Direct Instruction) produisait des résultats positifs plus systématiquement que les autres, il serait inapproprié et irresponsable de diffuser des informations sur tous les modèles “. Bien que représentant le pouvoir politique qui avait débloqué le demi-milliard de dollars nécessaire à 10 ans de recherches, Boyer prend ainsi le parti d’en brider les résultats.

L’ENTERREMENT DU PROJET FOLLOW THROUGH
Les propos de Boyer sont explicites à propos de l’avenir : « Le changement de budget du Président pour l’exercice 1979 consiste à entamer une élimination progressive du programme Follow Through. L’expérience visant à évaluer cet ensemble particulier de modèles d’éducation compensatoire est terminée. On estime que les futurs efforts de recherche et de développement de cette nature devraient être menés par l’Institut national de l’éducation. »

LE SOUCI DE CONTENTER TOUT LE MONDE
Ernest Boyer présente alors une réorientation du projet: «… nous finançons cette année 21 des sites à succès en tant que sites de démonstration afin que d’autres écoles et éducateurs apprennent, comprennent et, espérons-le, adoptent les activités et procédures réussies qui se déroulent sur ces sites efficaces.» L’espoir qu’il exprime ici correspond parfaitement à l’air du temps, à la fin joyeuse des trente glorieuses. Si on peut comprendre que Boyer ait cédé à l’esprit libertaire des années 70 en renonçant à un alignement des pratiques, il est par contre éthiquement inadmissible que le Commissaire à l’éducation se soit employé à garder confidentiels des résultats susceptibles d’avoir une influence majeure sur le cursus scolaire de millions d’élèves défavorisés.

SITES INTERNET CONSULTÉS :
Project Follow Through (nifdi.org)

http://www.formapex.com/telechargementpublic/peladeau2000a.pdf

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