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Rosenshine à la sauce constructiviste

Juin 2020, le professeur Steve Bissonnette réagit à la publication d’un post sur Facebook qui fait
référence à un document édité par le Centre Alain Savary de Lyon en 2016 intitulé ” Enseigner plus
explicitement, un outil pour la formation ? “.
Une dérive
Ne mâchant pas ses mots, M. Bissonnette parle ” d’imposture “, ” d’enseignement explicite à la
sauce constructiviste “. Il imagine que ” Rosenshine doit se retourner dans sa tombe à la lecture de
ce dossier “. Et de renvoyer les lecteurs à l’article que lui et deux de ses collègues ont publié en
2019 : ” L’injonction à ” enseigner plus explicitement ” n’est pas conforme à l’enseignement explicite
de Rosenshine. La dérive des cousins français. “
Référentiel du Ministère de 2014
L’émotion de M. Bissonnette se comprend car l’article qu’il a co-signé avec Marie Bocquillon de
l’université de Mons et avec Clermont Gauthier de l’université Laval était à la fois documenté et limpide
dans ses conclusions. C’est l’occasion d’y revenir.
Les trois auteurs commencent par rappeler que le Ministère de l’éducation nationale français a
produit en 2014 un référentiel intitulé ” Refonder l’éducation prioritaire “. En voici quelques
extraits :
” Les procédures efficaces pour apprendre sont explicitées et enseignées aux élèves à tous les
niveaux de la scolarité. La pédagogie est axée sur la maîtrise d’un savoir enseigné explicitement […].
L’enseignement est progressif et continu ; la vérification de la compréhension de tous les élèves est
régulière ” (Centre Alain Savary, 2014, p. 4.)
Enseignement explicite et réseau d’éducation prioritaire
Pareilles assertions semblaient prometteuses. Car les élèves des réseaux d’éducation prioritaire ont
besoin d’enseignement explicite. Le constructivisme pêche par son manque de clarté qui les déroute
et les laisse seuls au moment de chercher et sélectionner par eux-mêmes les concepts, les formules
et les démarches à retenir. De tels élèves ont tant à apprendre pour combler le déficit généré par
leur naissance dans un milieu défavorisé qu’ils ne peuvent se permettre de perdre leur temps à
multiplier les fausses hypothèses. Ils apprécient que leurs enseignants les conduisent droit au but,
leur proposent des explications et des exercices grâce auxquels ils pourront progresser de manière
suffisamment rapide et visible pour que leur estime de soi s’accroisse et leur donne la confiance qui
leur manque.
Les mauvais compromis de 2016
Deux ans plus tard, en 2016, il faut déchanter : deux publications viennent promouvoir une forme de
pédagogie que l’on peut qualifier de mauvais compromis entre les recommandations du référentiel
de 2014 et une pédagogie constructiviste qui refuse de s’avouer dépassée. Outre le document du
centre Alain Savary déjà mentionné plus haut, on doit encore déplorer la publication de la Direction
générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) intitulée ” Enseigner plus explicitement, situation et
gestes professionnels au quotidien “.
Expliciter les consignes ne suffit pas
La DGESCO a raison d’insister sur la nécessité d’expliciter les consignes et elle rejoint en cela
l’enseignement explicite. Mais elle s’en écarte fortement lorsqu’elle remplace les étapes du
modelage (enseignement frontal) et de la pratique dirigée (pratique effectuée sous la supervision de
l’enseignant) par le lancement des élèves dans des activités dont ils doivent trouver eux-mêmes le
sens en se posant des questions telles que ” A quoi ressemblera cet exercice lorsque vous l’aurez
réussi ? – Quelle est la règle du jeu qu’a en tête l’enseignante quand elle propose cette consigne ? –
A quoi doit-on faire attention dans la tâche ? Qu’est-ce qui va permettre de dire si c’est réussi ou
pas ? ”
Les réponses à au moins deux de ces quatre questions peuvent être aussi variées qu’il y a d’élèves
dans la classe. Et si l’on ne peut que valider le souci constant d’encourager les élèves à adopter une
posture autoréflexive, ce n’est pas le moment opportun de le faire à ce stade de la séquence
d’enseignement.
Importance de la pratique dirigée
Revenons aux temps forts de l’enseignement explicite pour rappeler qu’un modelage de qualité, suivi
d’une pratique guidée, appliquée de manière rigoureuse, représentent deux des cinq temps de cette
méthode. S’en passer, c’est créer de la confusion dans les esprits des élèves, les exposer au doute et
au découragement. Appliquer ces deux phases-clés, c’est, au contraire, avoir en face de soi la quasi-
totalité des apprenants qui écoutent, se montrent intéressés par les nouvelles notions ou
compétences présentées. C’est aussi entendre les uns et les autres dire qu’ils ont compris, que c’est
facile, c’est constater leur joie et leur fierté de progresser.
Les résistances
Comment expliquer que pareille manière de procéder – qui s’avère être à la fois logique et efficace –
ne soit pas adoptée par davantage d’adultes ? Les observations faites sur le terrain me permettent
de formuler les différentes hypothèses ci-après.

Crainte d’être accusé de manipuler les élèves.
Peur de trop soutenir les élèves, de ne pas assez les aguerrir pour la suite des études.
Faible capacité de décentration, d’empathie.
Besoin d’affirmer la supériorité de ses propres connaissances, de marquer la dissymétrie du rapport
maître-élèves.
Espoir que cette dissymétrie renforcera sa propre autorité, dispensera de devoir installer un cadre
disciplinaire clair et efficace.
Application des stratégies du constructivisme.
Crainte de paraître vieux-jeu, de se cantonner à de l’enseignement traditionnel dépassé.

Enseignement explicite et enseignement traditionnel
Quiconque a pris la peine de se former à l’enseignement explicite et l’a comparé à l’enseignement
traditionnel se rend compte des différences majeures qui les distinguent l’un de l’autre.
L’enseignant dit traditionnel explique les notions sans vraiment s’assurer d’être compris par une
large majorité de son auditoire. Il ne prend pas – ou pas toujours – la peine de vérifier le taux de
pénétration des informations et des savoirs qu’il dispense en demandant à ses élèves d’avoir
suffisamment d’autonomie pour le faire eux-mêmes avant le jour de l’examen, de combler par eux-
mêmes les lacunes existantes afin, précisément, de réussir les tests ou examens d’évaluation.
Une efficacité qui n’est pas le fruit du hasard
En enseignement explicite, l’enseignant efficace réactive les prérequis avant de proposer les
nouvelles notions. Il commente ces dernières, les illustre par le recours à plusieurs exemples et
contre-exemples puis passe à la pratique dirigée. Des contrôles réguliers lui permettent d’évaluer et
de s’assurer que le taux de pénétration atteint le 80% des élèves. Tant que ce quota n’est pas atteint,
il ne demande pas à ses élèves de travailler sans aide et évite de les évaluer de manière certificative.
Mais une fois le seuil des 80% franchi, il exigera au contraire des apprenants qu’ils se penchent sur
les différentes tâches proposées de manière complètement autonome.
Besoin d’efficacité pour lutter contre le déterminisme social
La démarche est exigeante et c’est la raison pour laquelle l’enseignement explicite ne se limite pas à
une méthode. Il se veut encore un état d’esprit spécifique, soucieux d’intégrer tous les élèves dans le
processus – y compris les plus faibles et les moins motivés. Quand cela se passe, l’école parvient à
dépasser un certain déterminisme social et à redonner l’espoir aux enfants des classes les plus
défavorisées. A cet égard, l’enseignement explicite est un puissant facteur de paix sociale et de
défense de la démocratie.
Ouvrages cités dans cet article :

BISSONNETTE Steve, BOCQUILLON Marie, GAUTHIER Clermont : L’injonction à ” enseigner plus
explicitement ” n’est pas conforme à l’enseignement explicite de Rosenshine. La dérive des cousins
français in Revue du Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec, vol. 8, no2, Apprendre et
enseigner aujourd’hui printemps 2019 pp 57 à 62
https://conseil-cpiq.qc.ca/wp-content/uploads/2019-05-22pdf_compressed-2-1.pdf

GAUTHIER Clermont, BISSONETTE Steve, RICHARD Mario, CASTONGAY Mireille : Enseignement
explicite et réussite éducative. La gestion des apprentissages. ERPI, Montréal, Bruxelles, de Boeck,
2013

Centre Alain Savary : Enseigner plus explicitement. Un dossier ressource, Université de Lyon, Institut français de l’éducation, France
http://cache.media.education.gouv.fr/file/04_Avril/86/5/2014_educationprioritaire_lancement_dpa
rticipant_bdef_313865.pdf

Direction générale de l’enseignement scolaire, (DGESCO), Enseigner plus explicitement, Situation et
gestes professionnels au quotidien, Bureau de l’éducation prioritaire, France, 2016. P.46

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