Peut-on vaincre la peur des mathématiques ?
Les résultats d’une recherche de niveau universitaire menée par Maria Chiara Passolunghi, Chiara De Vita et Sandra Pellizzoni démontrent non seulement qu’il est possible d’atténuer cette peur mais donnent également des indications sur la bonne manière de le faire.
Traiter la peur ou autre chose ?
De Vita, Passolunghi et Pellizzoni ont étudié trois groupes d’élèves. L’un a bénéficié d’exercices à caractère ludique tels que des jeux mathématiques, des comptines, des histoires permettant aux élèves d’apprendre de manière agréable.
L’autre a profité d’une série de cours durant lesquels l’anxiété a été traitée comme un problème en soi. On s’est employé à faire émerger les pensées négatives et à les traiter sous une forme de thérapie de type cognitivo-comportementale.
Trois groupes, dont un groupe-témoin
Le troisième groupe d’élèves, le groupe témoin a passé le temps et la durée de la recherche – soit huit séances d’une heure par semaine – à créer des bandes dessinées.
En résumant, cela fait un groupe pratiquant des exercices mathématiques ludiques, un autre subissant une forme de thérapie et le troisième se contentant de dessiner.
Combattre la peur par la pratique des mathématiques
Les résultats de l’étude ressemblent à un tiercé.
Au pied du podium, le groupe-témoin est dernier des deux classements.
Le premier classement se réfère au degré d’anxiété en maths. La peur est restée telle quelle dans le groupe-témoin, alors qu’elle a été allégée chez les élèves des deux autres groupes.
Le deuxième classement, celui du rendement en maths, permet de faire émerger le gagnant des trois, c.à.d. celui qui a bénéficié d’activités ludiques en maths. Il arrive en tête, suivi des élèves ayant bénéficié d’une thérapie alors que les « dessinateurs » ferment la marche.
Légitimation d’un cadre de travail ordonné et sécurisé
Ces résultats et ces conclusions réjouissent toutes les personnes qui promeuvent l’enseignement explicite (EE).
S’assurer que les élèves puissent maîtriser des questions complexes en partant du plus simple au plus compliqué est un objectif majeur de l’EE. Créer un climat de travail bienveillant et sécure en est un autre. Voilà pour la didactique, la liste n’étant pas exhaustive.
Au-delà de la didactique, il faut évoquer l’état d’esprit de l’enseignement explicite. Il se soucie de tous les élèves, y compris des plus faibles. Il vise un taux de compréhension de 80% lors de la pratique dirigée (phase d’exercices réalisés en présence et avec le soutien du maître) et un taux de réussite aux évaluations encore plus élevé.
Guérir par la pratique et la réussite
Que la peur des mathématiques soit atténuée, voire supprimée par un enseignement méthodique, sérieux, respectueux des profils et des faiblesses des élèves, c’est le cheval de bataille de Didier Godeseune. Enseignant de maths et blogueur, il publie régulièrement d’excellents articles sur la question.
Didier Godeseune rappelle que la motivation intrinsèque ne constitue pas une garantie de réussite en mathématiques. En revanche, obtenir des bons résultats multiplie les chances de réussir la suite des programmes et de voir sa motivation augmentée.
L’enseignant peut contribuer à améliorer la perception de compétence des élèves, ajoute-t-il, en leur donnant « une rétroaction positive axée sur l’amélioration et en leur offrant de multiples occasions de réussite ».
Validation de l’enseignement explicite
Voilà qui démontre la validité du concept de sentiment d’efficacité personnelle (SEP). La réussite dépend davantage de la conviction que nous avons de pouvoir triompher d’un obstacle que de nos compétences réelles de départ.
L’enseignement efficace insiste tout autant sur ce point.
L’élève ne pourra vraiment croire en lui-même que si les résultats des évaluations lui fournissent la preuve de ses compétences. S’il échoue, vous aurez beau lui dire qu’il a des dons et des capacités, il ne pourra pas vous croire. Par conséquent, il revient à l’enseignant de lui fournir des occasions de réussir des évaluations simples pour l’amener à faire pareil avec des tests complexes et plus ardus.
L’effet Mathieu
Plus un élève réussit, plus il s’intéresse aux maths et plus il passe de temps à mémoriser ce qui permet d’alléger ensuite sa mémoire de travail et de mieux résoudre des problèmes difficiles.
Didier Goudeseune parle très bien de cet effet d’entraînement (effet Matthieu) ou de son contraire qui est fait de croyances négatives conduisant à plus de crainte, de démotivation et d’insuffisance de temps passé à apprendre.
Pour lui, un élève doué en maths est un élève qui y a consacré davantage de temps, qui a retenu plus de choses. Cela lui permet de travailler plus vite avec davantage de plaisir sur des sujets plus stimulants.
Rôle des enseignants.
Didier Goudeseune invite ses collègues enseignants à vraiment consolider les bases des connaissances en mathématiques de tous les élèves. Ils ne doivent pas laisser certains d’entre eux décrocher.
Il s’élève contre les enseignant.e.s de maths qui pratiqueraient une pédagogie de la découverte. Car elle est trop hasardeuse et chronophage dans une école où chaque moment doit être mis à profit pour travailler de manière sereine, progressive, plaisante et approfondie.
Chasser la peur des maths
Un autre blogueur, anglophone, arrive à peu près aux mêmes conclusions
Dans un article de décembre 2017 et dans une publication de mars 2020, Greg Ashman préconise le recours à l’enseignement explicite pour réduire, voire supprimer la peur des maths.
Il le justifie par les conclusions de plusieurs études, dont celle de Passolunghi, De Vita et Pellizzoni.
Lui aussi insiste sur le rôle important des enseignants.
A l’appui de ses affirmations, il renvoie à une publication canadienne de O’Leary K, Fitzpatrick CL and Hallett D (2017). On y lit que les élèves émettent le désir de pouvoir travailler avec des enseignants qui savent multiplier les exemples et les contre-exemples pour illustrer les nouvelles notions et se faire comprendre de tous les élèves. C’est là un des facteurs propres à les rassurer et à faire disparaître la peur si contreproductive des mathématiques.
Un atout supplémentaire : le recours à l’écriture expressive
Citant une publication de Park et alii de 2014, Didier Goudeseune affirme que l’écriture expressive contribue à diminuer le stress des élèves et à améliorer leurs résultats en mathématiques.
Il s’agit d’une technique simple et clinique qui encourage les individus à écrire librement sur leurs pensées et leurs sentiments concernant un facteur de stress important auquel ils sont confrontés.
L’exercice dure 10 à 20 minutes. Les effets peuvent apparaître après une seule séance mais, généralement, celles-ci sont répétées pendant quelque temps. Cela réduit les pensées négatives et les idées noires chez les populations anxieuses et déprimées.
La pratique de l’écriture expressive apporterait même avec elle un bénéfice secondaire : augmenter la disponibilité des ressources de mémoire de travail.
Des recettes qui pourraient aussi concerner les bons élèves et les adultes
La peur des mathématiques ne concernerait pas que les plus faibles. Elle toucherait également certains bons élèves ainsi que des adultes dans l’exercice de leur profession. Pour ces derniers, elle serait à l’origine d’erreurs de dosage de produits, de différents calculs de quantités et de coûts.
Si donc vous n’êtes ni prof, ni élève, ni cadre dans un établissement scolaire, si vous avez lu jusqu’au bout dans le but de guérir de la peur des maths, vous avez maintenant quelques pistes à suivre pour essayer de vous en débarrasser.
Bibliographie et Webographie :
Ashman Greg, article de blog, consulté le 27 mai 2020 :
Reduce Maths anxiety with explicit teaching
https://gregashman.wordpress.com/2017/12/02/reduce-maths-anxiety-with-explicit-teaching/
De Vita Chiara, Passolunghi Maria Chiara, Pellizzoni Sandra: Math anxiety and math achievement: The effects of emotional and math strategy training, March 2020. Sur le site de Wiley Online Library : https://doi.org/10.1111/desc.12964
Dylan Wiliam, foreword of McCrea, Emma. Making Every Maths Lesson Counton (Making Every Lesson Count Series) (Kindle Locations 68–70). Crown House Publishing.
Gabrielle Garon-Carrier et al., Intrinsic Motivation and Achievement in Mathematics in Elementary School: A Longitudinal Investigation of Their Association, Child Development 87(1) (2016): pp 165–175
Goudeseune Didier : articles consultés le 28 mai 2020 sur le blog « Par temps clair » :
Attribution, motivation et réussite en mathématiques
https://par-temps-clair.blogspot.com/2019/12/attributions-movitation-et-reussite-en.html,
L’effet Matthieu en éducation
https://par-temps-clair.blogspot.com/2018/04/quest-ce-que-leffet-matthieu.html
Comment l’anxiété dégrade la performance des élèves et comment l’atténuer !
https://par-temps-clair.blogspot.com/2019/07/comment-lanxiete-degrade-la-performance.html
Laurie Buxton, Do You Panic About Maths? Coping with Maths Anxiety, pp. 115–117, 1981, London: Heinemann Educational Books
O’Leary K, Fitzpatrick CL and Hallett D (2017) Math Anxiety Is Related to Some, but Not All, Experiences with Math. Front. Psychol. 8:2067. doi: 10.3389/fpsyg.2017.02067
Park, Daeun & Ramirez, Gerardo & L Beilock, Sian. (2014). The Role of Expressive Writing in Math Anxiety. Journal of experimental psychology. Applied. 20. 10.1037/xap0000013.