Est-ce que les directrices et directeurs d’établissements scolaires pèsent réellement sur les conditions de vie et de travail de leurs élèves, de leur personnel ?

LA DIRECTRICE OU LE DIRECTEUR DANS LES YEUX DES USAGERS STANDARDS

Dans la vie quotidienne, les réponses varient passablement et notamment en fonction de ce que chaque individu a pu vivre à titre individuel. Tel parent, par exemple, qui a dû accompagner son enfant lors de démêlés en lien avec une situation de harcèlement pourra vous donner des arguments très précis en faveur ou en défaveur de la direction, alors que celui dont l’enfant a connu une scolarité sans histoire va ressentir l’équipe dirigeante comme une instance éloignée du terrain, nettement moins importante que l’enseignant·e· de telle ou telle discipline.

LA DIRECTRICE OU LE DIRECTEUR DANS LES PUBLICATIONS DES CHERCHEURS

Que dit la recherche scientifique à propos du poids que pèsent ou n’auraient pas les directrices et directeurs sur la bonne marche des établissements scolaires ? De prime abord, les recherches paraissent, elles aussi marquées par des évaluations très contrastées voire même contradictoires.

Dans leur publication de 1994, Wang et consorts citent les 28 facteurs qui influencent les apprentissages des élèves. Ils placent les directions d’école au 18ème rang, soit dans le deuxième tiers, assez loin derrière les enseignants, après les compétences cognitives et métacognitives des élèves ainsi que l’encadrement familial.

John Hattie (2017) quant à lui, mentionne une douzaine de méta-études qui concluent à des effets extrêmement variés.

Ci-dessus, tableau tiré de Hattie, J. (2017), pp 275 et 276

Deux publications parues en 2016 abordent la question de l’influence du leadership des directions en plaçant un focus tout particulier sur le vécu et les résultats des élèves : il s’agit de celle de Day, C., Gu, Q. et Sammons, P. intitulée The impact of leadership on student outcomes: how successful school leaders use transformational and instructional strategies to make a difference ainsi que celle de Marzano, R. J., Waters T. et McNulty B. : Leadership scolaire, De la recherche aux résultats.

UNE ÉTUDE QUI COMPILE LES DONNÉES DE PLUS D’UN MILLION D’ÉLÈVES ET DE 14’000 ENSEIGNANT·E·S

La publication de Day et consorts se base sur le suivi de 20 établissements anglais ayant connu un certain succès dans leurs réformes scolaires incitées par les directeurs, suivi s’étendant sur 3 ans. Celle de Marzano et alii est le résultat d’une méta-étude compilant les données de 69 recherches portant sur 1,1 millions d’élèves et 14’000 enseignants. A notre connaissance, c’est donc l’ouvrage le plus complet consacré à notre thématique et nous allons nous en servir pour répondre à la question de départ : est-ce que les directrices et directeurs exercent une influence sur la scolarité des élèves ?

QUAND LA DIRECTRICE OU LE DIRECTEUR AMÉLIORE SES COMPÉTENCES, CELLES DES ÉLÈVES DEVIENNENT MEILLEURES ELLES AUSSI.

Au terme de leur vaste méta-analyse, Marzano et consorts estiment que l’influence de la direction d’une école sur le rendement scolaire atteint un coefficient de corrélation moyen de 0,25. Selon eux, cela implique « qu’une amélioration des comportements du leadership de la direction du 50ème au 84ème rang centile est associée à une augmentation du rendement général des élèves de l’école du 50ème au 60ème rang centile. En outre, une augmentation des comportements du leadership du 50ème au 99ème rang centile est associée à une hausse du rendement scolaire des élèves du 50ème au 72ème rang centile ». Très concrètement, dans ce dernier cas de figure, les élèves qui, au départ pouvaient être qualifiés de moyens finissent par intégrer les rangs des bons élèves. (p.36) Et cela doit être attribué à l’amélioration des compétences managériales de la directrice ou du directeur.

En passant on retiendra que Marzano et consorts expliquent les grands écarts entre les différentes études par l’existence de « variables modératrices » telles que, par exemple, la qualité de l’étude, la taille de l’école ou encore l’âge des élèves. L’enjeu est donc de trouver a contrario des critères d’analyse plus précis qui permettent de comprendre comment se décline le leadership au quotidien, et notamment quand il s’agit de mesurer son influence sur les progrès des élèves.

LES BONS COMPORTEMENTS DES DIRECTIONS QUI IMPACTENT LES ÉLÈVES

Ces comportements plus précis, Marzano et consorts les appellent des responsabilités et ils en dénombrent 21. Pour chacune d’entre elles, les auteurs passent en revue les 69 études de leur méta-analyse, repèrent les indices les plus bas et les plus haut afin d’établir la moyenne entre ces deux extrêmes.

Lesdites moyennes permettent d’établir un classement. Quand le mot classement est prononcé, il ne faut pas oublier que les auteurs en relativisent très fortement l’aspect hiérarchisation parce que, précisent-ils, toutes ces responsabilités sont très importantes. On ne saurait, selon eux, privilégier les unes en négligeant les autres au prétexte qu’elles ont un indice de corrélation plus faible.

Nous avons quand-même choisi de les énumérer par ordre d’importance en les présentant par groupes de cinq ou six.

PREMIER GROUPE : LES RESPONSABILITÉS AYANT UN INDICE DE CORRÉLATION (IC) DE 0,27 OU PLUS.

La « CONNAISSANCE DE LA SITUATION » arrive en tête avec un IC de 0,33. Assumer cette responsabilité signifie que la directrice ou le directeur connaît les particularités et les courants sous-jacents du fonctionnement de l’école et utilise ces informations pour traiter les problèmes actuels ou potentiels.

La « FLEXIBILITÉ » arrive au deuxième range avec un IC de 0,28. Les auteurs entendent par là la capacité d’adapter ses comportements de chef·fe d’établissement aux différentes situations et d’être à l’aise avec les éventuelles dissidences.

Suivent ensuite avec un indice de 0,27 la « DISCIPLINE » – comprise comme la capacité de « protéger les enseignants des questions et influences qui pourraient réduire leur temps d’enseignement ou nuire à leur concentration », le « RAYONNEMENT » – il implique de savoir défendre l’école auprès de toutes les parties prenantes – et l’on termine enfin avec les « SUPERVISION ET ÉVALUATION » de « l’efficacité des pratiques de l’école ainsi que l’impact de celles-ci sur l’apprentissage des élèves ».

DEUXIÈME GROUPE : SIX RESPONSABILITÉS AYANT TOUTES UN INDICE DE 0,25.

La « CULTURE » est l’art de favoriser « le développement de convictions communes ainsi qu’un esprit de communauté et d’entraide », l’ « ORDRE » – c’est ici « l’ensemble de méthodes et de procédures de fonctionnement normalisées »-, les « RESSOURCES » sont bien évidemment nécessaires pour répondre aux besoins des enseignants sur le plan du matériel et assurer le « perfectionnement professionnel nécessaire pour bien exécuter leur travail » ; arrivent enfin les « CONNAISSANCES EN MATIÈRE DE CURRICULUM, D’ENSEIGNEMENT ET D’ÉVALUATION », la « PARTICIPATION DU PERSONNEL » et savoir être « L’AGENT DE CHANGEMENT ». Ces trois responsabilités parlent d’elles-mêmes.

TROISIÈME GROUPE : CINQ RESPONSABILITÉS AUX INDICES SE SITUANT ENTRE 0,24 ET 0,22

Ce sont la « FOCALISATION» ou capacité d’établir des objectifs clairs ainsi que de veiller à ce qu’ils restent à l’avant-plan dans l’esprit de tout les protagonistes de l’école, les « RÉCOMPENSES CONDITIONNELLES » à destination des réalisations individuelles, la « STIMULATION INTELLECTUELLE », quant à elle, suppose que la direction « s’assure que le corps et le personnel enseignant sont au courant des théories et des pratiques les plus récentes, et veille à ce que des discussions régulières à cet égard fassent partie de la culture de l’école » ; à mentionner encore la « COMMUNICATION » avec les enseignants et les élèves ainsi que la nécessaire existence des « IDÉAUX ET CONVICTIONS » en lien avec la formation scolaire.

QUATRIÈME GROUPE : CINQ RESPONSABILITÉS AUX INDICES COMPRIS ENTRE 0,20 ET 0,18

Ce sont « L’IMPLICATION DANS LE CURRICULUM, L’ENSEIGNEMENT ET L’ÉVALUATION », la « VISIBILITÉ » – qui implique des contacts et des interactions de qualité avec les enseignants et les élèves, l’« OPTIMISME », l’ « AFFIRMATION » – ou l’art de reconnaître ses échecs autant que d’identifier et souligner ses succès et réalisations – et enfin les « RELATIONS » soit la sensibilité à l’égard des préoccupations individuelles des enseignants et du personnel de l’école.

PREMIÈRES CONCLUSIONS

Les pratiques des équipes de direction ont bel et bien une influence sur le rendement des élèves et oui, améliorer les compétences des dirigeant·e·s a pour effet final de renforcer celles des élèves. D’autres publications – dont le rapport McKinsey de 2010 -, d’autres études – dont celle de Pelletier D., Colerette P. et Turcotte G. (2015) – aboutissent à des conclusions similaires.

 Autre point d’accord à relever : alors que les compétences ou responsabilités des directrices et des directeurs sont multiples et variées, elles doivent être mobilisées de façon systémique pour pouvoir exercer l’influence positive que l’on attend d’elles. Day et alii (2016), que nous avons cités plus haut, le résument dans cette phrase : l’amélioration à long terme des écoles passe par les directrices et directeurs et leur capacité à déployer des « stratégies de leadership transformationnelles et pédagogiques qu’ils doivent mobiliser et combiner à chaque phase de développement ».

OUVRAGES ET SITES CITÉS OU CONSULTÉS DANS CET ARTICLE :

Day, C., Gu, Q. et Sammons, P. (2016) The impact of leadership on student outcomes: how successful school leaders use transformational and instructional strategies to make a difference, Educational Administration Quarterly, 52(2), 221–258. https:// https://doi.org/10.1177/0013161X15616863

HATTIE John (2017) : L’apprentissage visible pour les enseignants, Québec, PUQ.

Marzano, R. J., Waters T. et McNulty B. (2016) : Leadership scolaire, De la recherche aux résultats. Québec : Presses de l’université du Québec.

Marzano, R. J., Waters T. et McNulty B. A. (2005) : School Leadership That Works: From Research to Results. Alexandria, VA: Association for Supervision and Curriculum Development.

McKinsey: Les clés de l’amélioration scolaire. Comment passer de bon à très bon. (2010). Un résumé du rapport peut être téléchargé à cette adresse : https://bernardappy.blogspot.com/2010/12/les-cles-de-lamelioration-des-systemes.html

Pelletier, D., Collerette, P. et Turcotte, G. (2015). Les pratiques de gestion des directions d’école secondaire sont-elles liées à la réussite des élèves? Revue canadienne de l’éducation, 38(1), 1-23.

Wang, M. C., Haertel G., D. & Walberg H.J. (1990) What helps students learn ?  Educational Leadership, v51 n4 p74-79 Dec-Jan 1993-94

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