Nous continuons d’examiner quelques aspects de l’héritage de Barack Rosenshine en régions germanophones, tels qu’ils figurent dans la publication de Brüning, L., & Saum, T. (2019) intitulée Direkte Instruktion: Kompetenzen wirksam vermitteln.
BIENFAITS ET MODALITÉS D’UN CONTRÔLE CONTINU DE LA COMPRÉHENSION
La vérification de la compréhension des élèves est un élément fondamental de la Direct Instruction. Se référant à Barak Rosenshine, les auteurs insistent sur la nécessité de vérifier constamment si les élèves ont compris. L’objectif est d’éviter que des malentendus ne s’installent et ne s’automatisent.
Quand vérifier la compréhension :
- Après chaque séquence d’instruction : L’enseignant doit poser de nombreuses questions après chaque courte séquence d’explication pour obtenir une impression de la compréhension dans l’ensemble de la classe. Si la compréhension n’est pas là, une nouvelle explication doit être fournie immédiatement. Ce processus est parfois appelé un cycle d’enseignement/ré-enseignement.
- Pendant la pratique guidée : L’enseignant doit observer attentivement si les élèves travaillent avec succès et doit intervenir rapidement si des erreurs s’introduisent.
- Après les phases de pratique : L’évaluation des résultats de travail est cruciale après les phases de pratique guidée et autonome.
Dispositifs utilisés : Les auteurs proposent plusieurs outils pour évaluer rapidement l’apprentissage :
- Questions ciblées à l’oral : Poser des questions à des élèves sélectionnés (quatre à six apprenants, de niveaux différents) pour prendre le pouls de la classe.
- Cartes de couleur : Utilisation de cartes (Vert, Rouge, Jaune) pour répondre simultanément aux questions fermées, permettant de voir rapidement la proportion de réponses correctes.
- Tablettes d’écriture : Les élèves écrivent des réponses courtes ou des options sur des planches effaçables et les lèvent en même temps sur signal.
- Systèmes de retour numérique : Des applications comme Plickers ou Kahoot permettent d’évaluer les réponses de toute la classe en temps réel après chaque question à choix multiples.
- Pensée à voix haute : Demander aux élèves de verbaliser leurs processus de pensée lors de la résolution de problèmes afin de diagnostiquer leurs stratégies et leurs malentendus.
- Tests de diagnostic : Utilisation de tests courts avec des formats d’évaluation rapides (tâches fermées ou semi-ouvertes) pour obtenir une évaluation rapide du niveau de connaissances.
- Observation : Observer les élèves pendant leur travail pour évaluer leurs difficultés et leurs stratégies.
LA REPRÉSENTATION VISUELLE COMME SOUTIEN COGNITIF
Les auteurs accordent une grande importance à la proposition de schémas et d’illustrations aux élèves, car la représentation visuelle de la structure factuelle est l’une des caractéristiques d’une bonne explication.
Rôle des supports visuels :
- Soulagement de la mémoire de travail : La structure factuelle des nouvelles informations est mieux comprise lorsqu’elle est visible, car cela soulage la mémoire de travail, dont la capacité est limitée.
- Soutien à la compréhension : L’utilisation de supports visuels est recommandée le plus souvent possible.
- Ancrage mémoriel : L’utilisation de schémas et d’illustrations agit comme une aide à la mémorisation.
MODALITÉS DE CONFECTION ET D’UTILISATION DES AIDES VISUELLES
Quand : La représentation visuelle doit avoir lieu pendant la phase d’explication. Les supports visuels doivent si possible être proposés au moment de l’explication pour la soutenir.
Pour quel objet de savoir : La représentation visuelle est essentielle pour rendre la structure factuelle visible, en particulier pour les contenus abstraits. Par exemple, un tableau peut être utilisé pour illustrer la structure des phrases complexes ou pour décomposer des problèmes complexes en étapes claires.
Critères à respecter par les supports visuels afin de garantir leur efficacité :
- Réduction à l’essentiel.
- Clarté linguistique : La formulation doit être concise, privilégiant les termes clés ou les groupes de mots.
- Complémentarité : Les représentations linguistiques et symboliques doivent se compléter mutuellement.
- Cohérence formelle : Les aspects qui vont ensemble doivent être reconnaissables visuellement.
- Structure graphique : Utiliser des structures graphiques telles que des tableaux, des cartes conceptuelles, des diagrammes de Venn ou des réseaux de mots.
- Mise en évidence : Les idées centrales doivent être distinguées graphiquement, par exemple à l’aide de tirets ou de soulignements.
IMPORTANCE DES RÉSUMÉS ET DE LA RÉPÉTITION DANS L’APPLICATION DE LA MÉTHODE
Les auteurs accordent une grande importance à la proposition de synthèses des éléments principaux à retenir. Les résumés et la répétition sont des caractéristiques d’une bonne explication. Ils sont importants car l’attention des élèves peut s’égarer. Entendre une information plusieurs fois mais de différentes manières, aide à la compréhension.
Importance des moments de synthèses :
- Pendant l’explication : L’enseignant doit structurer l’explication et, pour conclure la séquence, « résumer les contenus centraux ».
- En fin de cours : La répétition en fin d’heure est essentielle. Il est vital de prévoir au moins cinq minutes avant la fin pour cette synthèse, car ce qui a été difficilement acquis se dissipe en quelques secondes si elle n’a pas lieu.
Les synthèses sont-elles l’œuvre de l’enseignant ou des élèves ? La présentation de la structure des connaissances est initialement la tâche de l’enseignant. Cependant, la méthode encourage fortement l’engagement actif des élèves pour le traitement des informations.
- Les élèves reformulent : Immédiatement après la phase d’instruction, les élèves sont encouragés à se présenter mutuellement les nouveaux contenus en groupe ou en paires. Expliquer quelque chose à d’autres nécessite de restructurer et de traiter l’information.
- La vérification du contenu : Les élèves sont appelés à répéter les contenus présentés, et d’autres complètent.
L’enseignant assure la clarté et la structure initiales, mais la DI utilise les élèves pour se livrer activement à la synthèse et à la restructuration du contenu, qui est considéré comme l’acte de traitement le plus profond.
RÉCEPTION DE LA MÉTHODE
Dans l’espace germanophone, le concept de l’Instruction Directe (DI) a connu un accueil difficile et une « mauvaise presse ».
Reproches exprimés :
- Confusion avec l’enseignement classique : La DI est souvent confondue à tort avec l’enseignement frontal ou avec le « par cœur », qui est, lui, critiqué à juste titre.
- Image négative : La méthode est parfois associée à des qualificatifs négatifs comme « froide » ou « technocratique ».
- Idéalisme constructiviste : Il existe une « euphorie de l’auto-apprentissage » et un « mantra » de l’apprentissage autorégulé fondés sur des thèses constructivistes mal comprises. Dans cette vision, l’enseignant ne devrait qu’observer et accompagner le processus d’apprentissage et le mot « enseignement » lui-même est considéré comme offensant.
Réfutations apportées par les auteurs/défenseurs :
- Efficacité empirique prouvée : La DI a prouvé son efficacité pour la réussite scolaire dans de nombreuses études. La DI est en moyenne plus efficace et plus économique que de se fier à l’auto-découverte.
- Nature adaptable et centrée sur l’élève : La DI est pilotée par l’enseignant mais fortement centrée sur l’élève. Elle est adaptative et vise à répondre aux besoins individuels.
- Nécessité de l’Instruction : Le but est l’autonomie, mais les élèves ont besoin d’explications et de conseils jusqu’à ce qu’ils atteignent cette autonomie. Les laisser seuls trop tôt mène à des lacunes et des erreurs.
- Application limitée : Les auteurs ne prétendent pas que la DI soit un « outil à tout faire ». Sa pertinence dépend des objectifs ; elle est la méthode de choix pour l’acquisition de compétences techniques avec un contenu organisé de manière hiérarchique.
POUR CONCLURE
L’introduction de la Direkte Instruktion (DI) dans le monde germanophone s’est historiquement heurtée à une forte tradition pédagogique, souvent éloignée de l’empirisme et fortement orientée vers les sciences humaines. Cet état d’esprit a longtemps entretenu une idéalisation de l’autonomie et de l’auto-apprentissage, conduisant à la déconsidération de la DI.
Contrairement au modèle prescriptif et fortement scripté de Siegfried Engelmann (DISTAR), la réception allemande de la DI, promue notamment par Rosenshine et Helmke, insiste sur son application en tant que cadre de principes flexibles. La philosophie des experts germanophones la définit comme une approche « pilotée par l’enseignant mais fortement centrée sur l’élève ».
L’adoption du modèle de Brüning et Saum, sur fond de « virage empirique » suite aux études internationales (TIMS, Hattie), illustre un changement d’attitude : la Direkte Instruktion est désormais acceptée comme l’approche la plus efficace pour introduire et pratiquer les Kompetenzen (compétences), constituant ainsi la base méthodologique indispensable pour que les élèves puissent, à terme, atteindre l’objectif pédagogique suprême de l’autonomie (Selbstständigkeit). Cette approche permet de construire un savoir solide et structuré qui ne surcharge pas la mémoire de travail, assurant ainsi la réussite de tous, y compris des élèves les plus faibles.
OUVRAGE CITE :
Brüning, L., & Saum, T. (2019). Direkte Instruktion: Kompetenzen wirksam vermitteln. Neue Deutsche Schule Verlagsgesellschaft mbH.