Régulièrement, les médias viennent nous rappeler que certains élèves arrivent à la fin de leur scolarité obligatoire en ayant des grosses lacunes dans la maîtrise des compétences censées être acquises à la fin de l’école primaire déjà.
C’est le genre d’accident qu’il est difficile d’accepter, voire tout simplement d’entendre lorsque l’on passe sa vie à dispenser des cours ou des formations en s’impliquant totalement. Et pourtant, il faut admettre qu’il existe à cet égard des pratiques à améliorer.
CONDITIONS POUR QU’UNE REMÉDIATION SOIT EFFICACE
À l’heure où j’ai quitté mon statut d’enseignant, j’ai ressenti une réelle culpabilité à lire la passionnante publication de Steve Bissonnette et Christian Boyer (2021). En quantifiant le nombre d’heures d’interventions qui sont nécessaires pour la remise à niveau d’élèves du primaire en lecture, l’étude démontre que les interventions traditionnelles sont pratiquement inefficaces. Pour rappel : si l’on se contente de deux moments hebdomadaires d’aide additionnelle de 45 minutes, offertes pendant 3 semaines, seul un 10% d’élèves améliorera ses résultats. Ce n’est qu’en convoquant les élèves en difficulté pour des cours journaliers de 120 minutes dispensés durant 10 semaines que les lacunes peuvent être comblées de manière significative.
D’UNE RECHERCHE-ACTION AU DISPOSITIF TARL
La recherche-action de Bissonnette et Boyer, bien que très sérieuse, se voulait modeste. Au moment où l’on entend parler de la méthode baptisée en anglais « Teaching at the right level » (TaRL) – qu’il faudrait traduire par « Enseigner au juste niveau » – , on s’aperçoit que les bases théoriques et pratiques proposées par Bissonnette et Boyer sont validées. Pour rappel, ils n’avaient pas seulement testé la bonne durée à offrir mais encore abordé les questions de méthode adoptée, de fidélité des adultes et, naturellement, des contenus proposés en termes d’enseignement.
DÉFINITION ET ORIGINE DU TARL
L’approche “Teaching at the Right Level” (TaRL) vise à améliorer les compétences de base en lecture et en arithmétique des élèves. Le dispositif se concentre sur l’enseignement adapté au niveau réel de compétence des élèves, plutôt que de suivre strictement le programme scolaire basé sur l’âge ou le niveau de classe.
L’approche a été développée et mise en œuvre initialement par l’organisation non gouvernementale indienne Pratham au début des années 2000 en réponse aux défaillances du système éducatif.
PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE
Chaque jour, pendant une période définie, les enfants du milieu jusqu’à la fin de l’école primaire consacrent du temps aux compétences fondamentales. Ils sont soutenus par une méthodologie d’apprentissage accéléré avant d’être régulièrement soumis à des tests. Cela se font à l’aide d’outils d’évaluation fournis par des instances officielles plutôt que par les examens de fin d’année traditionnels.
PROCESSUS DE RÉPARTITION AU COURS DU DISPOSITIF D’INTERVENTION
Les enfants sont évalués et regroupés en fonction de leurs niveaux de compétences, et non par âge ou par classe. Ils peuvent être déplacés vers différents groupes de niveau d’apprentissage à l’issue d’évaluations sommatives pour favoriser une progression accélérée.
TRAVAUX DE TYPE POLITIQUE ET ORGANISATIONNELS PRÉPARATOIRES
Dans sa conception originale imaginée et réalisée en Inde, TaRL a considéré que l’implication des autorités politiques dans la préparation et l’accompagnement du processus était un paramètre important.
C’est ainsi que la sélection des Zones de Gouvernement Local (Local Government Areas = LGAs) et des écoles s’est faite et continue de se faire en collaboration avec le Conseil d’Éducation de Base Universelle de l’État (State Universal Basic Education Board = SUBEB) et/ou le ministère de l’éducation et le financeur.
Des ateliers de conception sont organisés avant la mise en œuvre en collaboration avec le ministère. Ils sont chargés, notamment de :
- Produire les matériels TaRL en vue de leur distribution aux enseignants et aux élèves.
- Aider les États à élaborer des plans d’évolutivité et de durabilité chiffrés qui peuvent être inclus dans les budgets et les plans d’action.
- Maintenir les coûts au minimum et éviter les dépassements de budget ou des frais qui seraient difficiles à absorber par le gouvernement au fil du temps.
- Intégrer les processus et dispositifs de soutien dans les systèmes gouvernementaux existants.
BESOINS EN QUALIFICATION DES ADULTES, PROCESSUS DE FORMATION DES ENSEIGNANTS
Une formation technique est dispensée au niveau de l’État, de la LGA et de l’école pour les différents acteurs de TaRL (maîtres formateurs, mentors et animateurs). Elle comprend la méthodologie TaRL, la gestion de classe, l’évaluation et la façon d’opérer des regroupements, le mentorat, la collecte de données chiffrées, leur gestion et/ou leur analyse.
Les maîtres formateurs et les mentors sont tenus de pratiquer la méthodologie TaRL dans un environnement réel pendant une période minimale de 15 jours, avant de pouvoir dispenser eux-mêmes la formation.
TABLEAU RAPPELANT QUELQUES DIFFÉRENCES ENTRE UN DISPOSITIF PÉDAGOGIQUE USUEL ET CELUI DU TARL
AMÉNAGEMENTS HORAIRES À OPÉRER PENDANT LES HEURES DE CLASSE
L’un des aspects flexibles et adaptables du programme “Teaching at the Right Level” (TaRL) est que les cours de renforcement ou de remédiation peuvent être organisés aussi bien pendant les heures de classe qu’en dehors, en fonction du contexte spécifique, des ressources disponibles et des objectifs de l’intervention.
- Regroupement flexible au sein de la classe : C’est une modalité courante où, pendant une partie du temps d’enseignement dédié à une matière (lecture ou mathématiques par exemple), les élèves sont regroupés en fonction de leur niveau d’apprentissage actuel plutôt que de leur classe d’âge habituelle. L’enseignant ou des assistants peuvent alors travailler avec des groupes spécifiques sur les compétences fondamentales qu’ils n’ont pas encore acquises. Les autres élèves peuvent travailler sur des activités plus avancées ou de consolidation, adaptées à leur niveau.
- Périodes dédiées au renforcement : Certaines écoles ou systèmes éducatifs intègrent des périodes spécifiques dans l’emploi du temps hebdomadaire qui sont entièrement dédiées aux activités de remédiation et de renforcement pour les élèves qui en ont besoin. Pendant ces périodes, l’approche TaRL peut être mise en œuvre avec des groupes d’élèves de différents niveaux travaillant sur des objectifs d’apprentissage ciblés.
- Utilisation de temps d’enseignement différencié : Même sans regroupement formel, les enseignants formés à l’approche TaRL peuvent utiliser des stratégies d’enseignement différencié au sein de la classe. Cela signifie qu’ils adaptent leurs instructions, leurs activités et leurs supports pédagogiques pour répondre aux besoins des différents niveaux d’apprentissage présents dans leur classe.
EN DEHORS DES HEURES DE CLASSE
- Camps d’apprentissage intensifs (Learning Camps) :
C’est une modalité très efficace et souvent utilisée, en particulier pendant les vacances scolaires. Ces camps sont des périodes courtes mais intensives (quelques semaines) où les élèves se concentrent sur l’acquisition des compétences de base en lecture et en mathématiques en utilisant l’approche TaRL. Ils sont généralement animés par des enseignants, des volontaires ou des membres de la communauté formés. Les camps d’apprentissage ont souvent montré des gains d’apprentissage très significatifs. - Clubs de devoirs ou de soutien scolaire :
Des sessions de soutien scolaire organisées en dehors des heures de classe peuvent également intégrer les principes de TaRL en regroupant les élèves par niveau et en leur proposant des activités ciblées pour combler leurs lacunes. - Programmes communautaires :
Des organisations non gouvernementales ou des initiatives communautaires peuvent mettre en place des programmes de remédiation basés sur TaRL qui se déroulent en dehors des heures d’école, atteignant ainsi des enfants qui peuvent avoir des difficultés à suivre le rythme en classe.
FACTEURS INFLUENÇANT LE CHOIX DE LA MODALITÉ
Le choix d’organiser les activités de renforcement TaRL pendant ou en dehors des heures de classe dépend de plusieurs facteurs, notamment :
- Les ressources disponibles :
Disponibilité d’enseignants supplémentaires, d’assistants, d’espaces. - Le niveau de besoin des élèves :
Si un grand nombre d’élèves ont des lacunes importantes, des interventions plus intensives en dehors des heures de classe (comme des camps) peuvent être nécessaires. - L’intégration dans le système scolaire :
Si l’objectif est d’intégrer durablement l’approche TaRL, des regroupements flexibles pendant les heures de classe peuvent être privilégiés. - L’adhésion et la participation des élèves et des parents :
La participation aux activités en dehors des heures de classe peut dépendre de la motivation des élèves et du soutien parental. - Le contexte culturel et logistique :
Les contraintes de temps, de transport et les normes culturelles peuvent influencer la faisabilité des activités en dehors des heures de classe.
En résumé, TaRL n’est pas rigide quant au moment où les activités de renforcement doivent avoir lieu. Sa force réside dans sa flexibilité à s’adapter aux différents contextes pour atteindre les élèves là où ils sont et leur fournir le soutien dont ils ont besoin pour progresser dans leurs apprentissages fondamentaux. Les deux modalités (pendant et en dehors des heures de classe) ont montré leur efficacité dans différentes situations.
INSTANCES DE SUIVI DU PROCESSUS
Les enseignants reçoivent un soutien continu de la part des mentors à plusieurs niveaux. Des réunions d’examen aux niveaux de l’État, de la LGA et de l’école sont organisées pour discuter des défis et élaborer des solutions.
ÉVALUATIONS DES PROGRÈS DES ÉLÈVES ET ADAPTATIONS
Les enfants sont évalués au moins trois fois au cours d’un cycle de programme TaRL : au début, au milieu et à la fin. Ils peuvent être déplacés vers différents groupes de niveau d’apprentissage entre les grandes évaluations pour favoriser une progression accélérée.
RÉSULTATS POSITIFS CONSTATÉS
Les données issues de l’Inde, du Nigeria et du Maroc convergent pour démontrer l’efficacité de l’approche “Teaching at the Right Level” destiné à améliorer les apprentissages fondamentaux des élèves.
EN INDE
En 2021/22, TaRL a été mis en œuvre dans 1 212 écoles à travers cinq États du continent indien et a touché plus de 331 000 élèves.
Des camps d’apprentissage mis en place en Uttar Pradesh ont doublé le nombre d’enfants capables de lire un paragraphe ou une histoire.
AU NIGERIA
Au Nigeria, un projet pilote conduit dans l’état de Borno, une région touchée par des conflits, a montré une augmentation significative du pourcentage d’enfants capables de lire un paragraphe simple (de 14% à 45%) et de faire une soustraction simple (de 11% à 59%). L’approche a été adaptée pour utiliser les langues maternelles (hausa et kanuri), facilitant l’apprentissage d’une deuxième langue.
AU MAROC
Au Maroc, la combinaison entre TaRL et l’enseignement explicite a permis des améliorations significatives : les taux de maîtrise des compétences évaluées ont été multipliés par 4 en mathématiques, par 3 en français et par 2 en arabe.
POINTS DU DISPOSITIF À SURVEILLER DE FAÇON RÉGULIÈRE
Un suivi rigoureux du processus doit être effectué pour s’assurer de l’expertise et de la fidélité des adultes intervenants, mais aussi pour garantir la pertinence des contenus pédagogiques proposés. Cela se traduit par les points de vigilance suivants :
- Comprendre le contexte local et adapter le modèle de prestation en conséquence.
- Mobiliser les parties prenantes à tous les niveaux.
- Proposer et garantir un soutien de type mentorat et de conseil pour les animateurs au-delà de la formation initiale.
- Garantir qu’un temps soit véritablement dédié à l’enseignement de type TaRL.
- Assurer un soutien technique adéquat en termes de définition des rôles et des responsabilités de chacun.
- Renforcer la capacité des parties prenantes en matière de collecte, de gestion et d’analyse des données dans le but d’affiner le dispositif d’intervention.
- Offrir la possibilité de se perfectionner dans des classes d’application de pratiques lors de la formation de base et du mentorat.
- Commencer par un projet pilote pour permettre aux équipes de relever dès le début les défis concrets prévus et imprévus.
CONCLUSIONS
L’approche “Teaching at the Right Level” (TaRL) représente une possibilité d’avancée significative dans l’amélioration des compétences fondamentales des élèves en lecture et en mathématiques.
En adaptant l’enseignement au niveau réel de compétence des élèves, plutôt qu’à leur âge ou à leur niveau de classe, TaRL permet de combler leurs lacunes de manière efficace et durable. Cela représente un grand espoir pour des pays où les taux d’analphabétisme peuvent varier de 50 à 70% de la population avec des phénomènes de malnutrition parfois conidérables.
Les résultats positifs observés dans des pays aussi divers que l’Inde, le Nigeria et le Maroc démontrent les potentialités de cette méthode.
Pour garantir le succès de TaRL, il est essentiel de maintenir un suivi rigoureux, de mobiliser les parties prenantes et de fournir un soutien continu aux enseignants et aux élèves. En intégrant cette approche flexible et adaptable dans les systèmes éducatifs, l’espoir est grand d’offrir à chaque enfant les outils nécessaires pour qu’il réussisse son parcours scolaire et se donne les moyens de préparer une vie convenable.
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