
Est-il vraiment justifié d’investir autant de temps et d’énergie auprès d’élèves perturbateurs ? De nombreux enseignants répondent par la négative, préférant les sanctions, voire l’exclusion. Pourtant, une gestion de classe plus fine et créative peut engendrer des changements pédagogiques profitables à l’ensemble des élèves.
LES ÉLÈVES DE NIVEAU 3 : UN DÉFI POUR L’ENSEIGNANT
Dans la méthode de gestion de classe dite de la “Réponse à l’intervention”, on distingue trois niveaux d’élèves. Le niveau 1 regroupe 80% des élèves, qui respectent spontanément les règles. Le niveau 2 concerne 15% d’entre eux qui nécessitent des interventions correctives et des mesures éducatives. Enfin, le niveau 3 regroupe les 5% d’élèves les plus difficiles, qui demandent une attention et une écoute accrues pour éviter les crises et les comportements dangereux.
Ces élèves de niveau 3 se caractérisent par des comportements extrêmes : refus d’obéir, insultes, menaces, voire agressions physiques. Face à de telles situations, l’enseignant peut se sentir démuni ou, au contraire, perdre son sang-froid.
L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION ET LA RECHERCHE DU POINT NODAL
Parmi les stratégies efficaces pour gérer les élèves de niveau 3, on retrouve l’entretien d’explicitation et la recherche du point nodal. Ces deux techniques visent à identifier la cause du problème, sa nature et ses déclencheurs. En comprenant l’origine du dysfonctionnement, l’enseignant peut neutraliser les facteurs perturbateurs et favoriser l’adoption de comportements de substitution.
UN EXEMPLE CONCRET : L’HISTOIRE D’UNE ÉLÈVE “RÉVOLTÉE”, ÉMILIE
Une enseignante a partagé le cas d’une élève particulièrement difficile, multipliant les incivilités et refusant de s’investir. Grâce à l’écoute active, l’enseignante a découvert que l’élève nourrissait un profond sentiment d’injustice.
L’élève se sentait injustement placée dans une section de niveau faible, attribuant cette situation à un manque d’investissement et à une sévérité excessive de ses anciens enseignants. L’enseignante a alors entrepris de lui démontrer que cette situation pouvait être une opportunité pour consolider ses bases et que son attitude peu collaborative avait également joué un rôle dans la décision.
Un deuxième point nodal a été identifié : l’élève ressentait de la honte à se retrouver dans une section peu valorisée, où elle estimait ne rien apprendre. L’enseignante s’est alors attachée à rendre visible la valeur des contenus enseignés, en les comparant à ceux des sections plus fortes et en proposant des évaluations identiques.

L’EXPLICITATION DES CONTENUS
Pour prouver à Émilie que les cours étaient nouveaux, l’enseignante présenta régulièrement une copie annotée du programme annuel (voir reproduction ci-dessous). Émilie se laissa convaincre.
L’enseignante démontra aussi que certains contenus étaient communs au niveau supérieur et mit ses élèves au défi de réussir l’évaluation de ces contenus partagés. Motivés, Émilie et ses camarades se préparèrent avec énergie à ces tests. Ils furent notamment plus attentifs aux conseils méthodologiques de leur enseignante qui les fit mémoriser et appliquer pendant les heures de cours.

TRAVAIL SUR LE SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE
Face au sentiment de honte éprouvé par Émilie, son enseignante a combiné la fixation d’objectifs atteignables avec une gestion efficace du stress et des émotions. D’abord axée sur l’élève isolée, elle a découvert que la majorité de la classe pouvait également bénéficier de cette approche.
Pour favoriser la réussite des élèves, elle a évité de les placer dans des situations où le risque d’échec était élevé en raison d’un manque de connaissances ou de stratégies. Elle a fixé des objectifs clairs, stimulants et atteignables à court terme. Ces objectifs permettent aux élèves de diriger leurs efforts, tout en leur offrant la possibilité de vérifier leur progression et de développer leur capacité à s’autoréguler.
Lorsqu’un élève met en place une autorégulation active, il peut identifier ce qui est bien compris, ce qui l’est moins bien, ou encore ce qui ne l’est pas du tout. Cette prise de conscience permet de mettre en œuvre des mesures compensatoires ciblées, favorisant non seulement la réussite mais aussi le sentiment d’efficacité personnelle.
TRAVAIL SUR LES ÉMOTIONS LIÉES AUX ÉVALUATIONS
L’enseignante a par ailleurs constaté que les évaluations généraient un fort stress chez ses élèves de niveau faible. Pour limiter cet impact négatif, elle a accompli les trois actions suivantes :
• Recadrer la fonction de l’évaluation : elle a rappelé que l’évaluation visait avant tout à identifier les acquis et ce qui nécessite encore du travail, plutôt que de classer les élèves entre eux.
• Légitimer les difficultés et les erreurs : elle a insisté sur le fait que les erreurs doivent être comprises comme une étape incontournable de tout processus d’apprentissage. Elles ne reflètent pas une incapacité intrinsèque, mais simplement des points à consolider.
• Réduire la pression liée au temps : certaines personnes ayant besoin de plus de temps pour accomplir une tâche, elle a convaincu ses élèves qu’il ne fallait ni s’obliger à travailler vite, ni mépriser ceux qui prennent davantage de temps pour assimiler les concepts.
TRAVAIL SUR L’ÉTAT D’ESPRIT
Sur le plan des émotions, l’enseignante s’est employée à lutter contre les pensées défaitistes et paralysantes découlant du stress. Pour contrer ces réactions, elle a appris à ses élèves à ne jamais minimiser une réussite, aussi modeste soit-elle, et à ne pas se décourager face aux échecs.
Ce travail sur les émotions et les croyances négatives a renforcé leur résilience et les a aidés à mieux gérer les défis académiques.
CONCLUSION
La prise en charge d’une élève en grandes difficultés demande du temps et de l’énergie. Cependant, comme le montre cet exemple, elle peut engendrer des changements bénéfiques pour l’ensemble de la classe. En investissant dans la compréhension et la résolution des problèmes individuels, l’enseignant peut parfois créer un environnement d’apprentissage plus favorable pour tous.
BIBLIOGRAPHIE
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