La réponse est clairement affirmative. Oui, il faut à tout prix fuir les pédagogies qui nuisent aux progrès des élèves et encore ne pas commettre les gestes ou erreurs méthodologiques qui risquent de conduire tôt ou tard les enseignants à la démission ou au burn out.

On me reprochera peut-être de peindre le diable sur la muraille ou de surestimer indirectement l’importance des profs et leur façon d’enseigner.

Ce serait oublier des articles antérieurs consacrés à la validation de l’effet enseignant par d’innombrables recherches scientifiques ainsi que d’autres études prouvant que toutes les méthodes ne se valent pas. A la partie du lectorat qui préfère juger sur des exemples concrets, j’aimerais évoquer deux scènes extraites du célèbre film « Entre les murs » signé Laurent Cantet. Par la même occasion, cela représentera une façon de rendre hommage au réalisateur qui a gagné la Palme d’or du festival de Cannes en 2008 et qui nous a quittés le jeudi 25 avril dernier.

Au moment de sa sortie, le long métrage rencontre un grand succès et décroche des prix dans plusieurs pays et festivals. Adapté d’un roman de François Bégaudeau, lui-même inspiré de scènes vécues dans un collège en REP parisien, le film met en scène des élèves qui ne sont pas des professionnels, ainsi que l’auteur du roman original dans le rôle du maître de français et prof principal.

Le film comporte le grand mérite de refléter de façon réaliste les véritables conditions de travail en réseau d’enseignement prioritaire (REP). Pour les formateurs en pédagogie, il propose des scènes qui, pour le dire crûment, s’imposent comme de contre-exemples de ce qu’il ne faut pas faire en classe, que ce soit dans le domaine de la didactique ou sur le plan de la gestion de la discipline (gestion de classe). [En écrivant cela, je tiens à préciser que les critiques émises portent sur des scènes de fiction. Les faiblesses constatées ne visent ni les auteurs de l’œuvre, ni les acteurs, ni non plus le collège qui a servi de lieu de tournage, que je ne connais pas du tout.]

Un cours, ça se prépare en définissant au minimum un objectif d’apprentissage à atteindre, avec une stratégie, des exercices destinés à tester la bonne compréhension de ce qui a été expliqué ou démontré et qui offre enfin des supports numériques ou matériels aidant à la compréhension et à l’objectivation des éléments à retenir.

Ce n’est sans doute pas l’avis de François Marin, l’enseignant principal du film. Il propose un cours magistral dialogué en accordant une place centrale aux questions posées aux élèves. Quand le questionnement est très général, les réponses sont diverses, inattendues voire carrément saugrenues. Le plus étonnant, c’est la façon désarmante avec laquelle l’enseignant réagit aux réponses des élèves. Cette séquence est visible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=jjQHSBwHng0

Quand la séquence commence, le Prof finit d’écrire au tableau noir : « Spirituel », un mot qu’on essaiera d’expliquer tout à l’heure…

Prof : Qu’est-ce qu’il y aurait d’autre comme mot dans ce texte que vous ne comprenez pas ? Durak ?

Élève 1 : Le mot « condescendance ».

Prof : Le mot « condescendance » ? Euh oui bien sûr, un mot assez compliqué. Est-ce que tu as une idée de ce que ça veut dire ? Une petite idée, comme ça ?

Élève 1 : Euh j’en ai une, oui, mais je suis pas sûr.

Prof : T’es pas sûr du tout ? Ben euh, on en reparlera tout à l’heure. Oui, Damien ?

Damien : Le mot « argenterie ».

Prof : « Argenterie ». Qu’est-ce que ça veut dire « argenterie » ?

Damien : C’est, euh, les habitants de l’Argentine.

Prof, ironique : Voilà, exactement, c’est les habitants de l’Argentine ! Bien sûr que non ! Damien, comment on appelle les habitants de l’Argentine ?

Damien : Ben, des Argenteries.

Prof : Mais non, tu l’sais bien, tu regardes le foot à la télé. L’équipe d’Argentine, les joueurs, on dit que ce sont des… ?

Damien : Des « footballeurs ».

[Rires moqueurs des camarades].
Prof : Bien, passons ! Les autre mots difficiles dans ce texte-là ? Henriette, par exemple ? Est-ce qu’il y a un mot dans le texte que tu n’as pas compris ? J’imagine que oui.

La voisine d’Henriette, Samantha, lui souffle : « Désormais ».

Prof : : « Désormais », merci, Samantha pour le soufflage !

[Le Prof : écrit « désormais » au tableau] Bien, je pense que ça suffira pour la liste pour l’instant.

Prof : Bien, on revient sur les mots qu’on a notés tout à l’heure. Alors « Autrichienne », c’est Wei qui nous a signalé ce mot « Autrichienne ». Oui, Esméralda ?

Esméralda : « Autrichienne », tout le monde sait ça veut dire quoi (sic) aussi !

Prof : Ben oui, mais, il se trouve que Wei, il ne sait pas.

Esméralda : Mais c’est le seul qui sait pas, Monsieur !

Prof : Oui, très bien, on a compris. Toi, tout à l’heure, tu ne savais pas ce que voulait dire le mot « trompeur », alors je pense pas que tu es très avisée pour parler de tout ça, on est d’accord ?

Esméralda : Oui mais, « Autrichienne », c’est bon. Tout le monde y sait.

Prof : Non, non. On est toujours l’imbécile de quelqu’un… « Autrichienne », c’est pas euh, comment dire, c’est pas un mot, euh, très important. Il se trouve que ça désigne l’habitant d’un pays qui est l’Autriche, un pays qui est tout petit, on peut tout à fait se passer de ce terme-là. Est-ce que quelqu’un, par exemple, connaît un Autrichien célèbre ?

Souleymane : Mozart. Euh. Ouais, Wouolfgang Amadeus Mozart.

Prof : Comment tu l’appelles ?

Souleymane : Wouolf-heng Amadeus Mozart.

Prof : On pourrait l’appeler Wouolfheng, éventuellement, s’il était Anglais, oui. Mais Mozart était Autrichien, oui. Mais sinon ? Est-ce qu’il y a d’autres Autrichiens célèbres ? A la rigueur, je pense que l’Autriche disparaîtrait de la carte que personne ne s’en rendrait compte. C’est un pays qui est au Sud de l’Allemagne, vous pourrez regarder sur la carte où ça se situe. [L’enseignant s’adresse tout à coup à l’élève ] Souleymane, tu pourrais peut-être noter les noms comme tout le monde, hein ?

Souleymane (celui qui vient de trouver Mozart) : J’ai pas mes affaires.

Prof : Et personne ne peut te donner une feuille de sorte que tu puisses… ?

Souleymane : Je recopierai à la maison, vous inquiétez pas !

Prof : Oui,  oui, tu vas recopier à la maison, c’est ça. C’est ta politique : tu fais rien en classe, tu fais tout à la maison !

Souleymane : Mais, j’suis sérieux, hein, vous inquiétez pas !

Prof : Si je pouvais être sûr que tu faisais les choses à la maison, oui, je l’accorderais mais… j’ai un peu d’mal, là…

Souleymane: Ça va aller, ça va aller… Merci.

Prof : Bien, on passe à « succulent ». « Succulent »  c’est un mot que j’aimerais que nous … qu’on essaie de deviner. Qu’est-ce qu’il y a dans « succulent » ?

Elève 2 : Y’a « suc » !

Prof : Y’a « suc ».

Elève 3: Y’a « sucer » !

[Eclats de rire].

Prof : C’est drôle, Boubacar, très fin, très très spirituel. Euh, j’vais vous faire une phrase avec « succulent ». Euh, [Il écrit au tableau.] « Bill déguste un succulent cheeseburger ».

Chérif : C’est pas bon, M’sieur, un cheeseburger, ça pue !

Prof : [se retourne] Qui a dit ça ?

Boubacar : C’est trop bon, les cheeseburger.

Chérif : Pourquoi vous mettez « cheeseburger » ?

Prof : Cela dit, voilà, justement, puisque tu trouves que ça pue, tu penses donc que les cheeseburger ne sont pas succulents.

Chérif: J’m’en fiche. Mais, en tout cas, les cheeseburgers c’est pas bon.

Prof : Oui, d’accord. C’que j’veux dire c’est que, pour deviner ce que veut dire « succulent », ce que je viens de vous dire devrait vous mettre la puce à l’oreille.

Elève 4 : M’sieur, ça veut dire quoi ?

Prof : Ça veut dire quoi, quoi ? (sic)

Elève 4 : La puce, machin, truc, là ?

[Gros rires dans la classe].

Prof : La puce à l’oreille, ça devrait vous mettre la puce à l’oreille. Personne connaît cette expression ?

Elève 5 : Mais t’es une teubée ou quoi ?

Prof : Voilà, « la puce à l’oreille, mettre la puce à l’oreille » ça veut dire donner un indice. Donc quand je dis que dans la mesure où Chérif trouve que les cheeseburgers puent il pense qu’ils ne sont pas succulents, ça devrait vous expliquer définitivement ce que veut dire « succulent ».

Kumba réagit à l’exemple écrit par le prof au tableau: « Bill déguste un succulent cheeseburger ». L’élève s’écrie : Mais pourquoi vous arrêtez pas de mettre des « Bill », là ?

Prof : Débile !!!!

Kumba et Esméralda : Pas « débile », mais  « Bill », « Boule ». Toujours des mots euh bizarres, là ? Mais pourquoi vous mettez pas …?

Prof : C’est pas du tout un nom bizarre. C’est le nom d’un président américain récent, j’te rappelle, Bill.

Esméralda : Mais pourquoi vous mettez pas Aïssata ou Rachid ou Mohammed?

Esméralda : Vous mettez tout le temps des noms de patos, aussi.

Prof : : Des noms de… ?

Esméralda : Des noms de baptous .

Prof : : C’est quoi des noms de quoi ?

Esméralda : Des noms de baptous, de Français, de Céfrans.

Prof : : Mais t’es pas Française, toi, Esméralda ?

Esméralda : Non, j’suis pas Française.

Prof : : Ah bon, j’étais pas au courant.

Esméralda : En fait, je suis Française, mais pas fière de l’être.

Prof : : Ah, très bien. Mais je l’suis pas non plus, j’suis pas fier d’être Français.

Kumba :  Mais pourquoi vous mettez toujours des noms comme ça ?

Prof : : Oui, mais enfin, Kumba, tu comprends bien que si je choisis chaque fois des prénoms en fonction des origines diverses qu’il y a dans cette classe, je vais pas m’en sortir, moi.

Kumba et Esmeralda : Ben changez un peu !

Prof : : Qu’est-ce que tu m’proposes ?

Kumba et Esméralda : Fata, Aïssata.

Il est évident que François Marin doit accorder une grande valeur au questionnement en tant qu’acte d’enseignement. Car il ne fait pas que demander aux élèves de dire quels mots ou expressions leur sont inconnues. Parfois, il va jusqu’à répondre à la question posée par une ou plusieurs autres questions. Le tableau ci-dessous montre que le prof éprouve de la peine ou de la gêne à répondre en donnant tout simplement une définition claire du mot inconnu.

MOTS ÉNONCÉS PAR LES ÉLÈVESEXPLICATIONS DONNÉES PAR
L’ENSEIGNANT
COMMENTAIRE
SpirituelPas d’explication
Condescendance Pas d’explicationC’est un mot assez compliqué,
on verra tout-à-l ’heure
DésormaisPas d’explication
ArgenterieCe n’est pas l’habitante de l’ArgentineComment appelle-t-on
les joueurs de foot de
l’équipe d’Argentine ?
AutrichienneCela désigne l’habitante d’un pays qui
s’appelle l’Autriche.
Ce n’est pas un mot important, s’agissant
d’un petit pays qui pourrait disparaître
de la carte, on s’en apercevrait à peine.
Succulent« Bill déguste un succulent cheeseburger »,
l’exemple doit faire comprendre le sens
de ce mot.
Mettre la puce à l’oreilleCela veut dire “donner un indice”.

Sur un extrait de 7 mots ou expressions signalés par les élèves, François Marin n’a donné que deux définitions explicites et claires. En quatre occasions, il ne donne rien. Et la septième fois, il juge que son exemple est suffisamment parlant pour que les élèves trouvent eux-mêmes la réponse.

Une telle manière de faire exige des élèves qu’ils devinent les réponses ou qu’ils cherchent à les obtenir par d’autres moyens. L’effet concret, c’est que les élèves sont ainsi maintenus dans un doute permanent : « Quelle est la bonne réponse ? Que dois-je inscrire dans mes notes ? Que dois-je réellement retenir ? » Or nous savons que les élèves les plus fragiles (sur le plan individuel et/ou sociologique) résistent moins que les autres aux situations d’incertitude, de doute et de flou. Plusieurs d’entre eux se réfugient alors dans le contestation, le rire ou l’ironie pour pouvoir calmer ces moments de tension et d’incertitude. Nous avons là un premier lien évident entre une défaillance – ou une absence – de choix méthodologique qui induit de l’agitation, du ricanement, voire de la provocation.

Le moment filmé du cours est celui où l’enseignant doit faire dire aux élèves quels mots ou expressions leur sont inconnus, les inciter à en trouver le sens en recourant aux explications du prof ou en se référant au contexte. Tel un chef d’orchestre, l’adulte devrait ainsi mener la discussion en gardant une ligne directrice très claire, en donnant des consignes tout aussi limpides et en veillant à coller au plus près au texte étudié tout en variant les façons de le travailler. C’est le prof qui devrait interroger les élèves de manière aléatoire pour que tout le monde suive et pour qu’il n’y ait pas de temps mort. C’est enfin et toujours le prof qui devrait éviter que l’on s’égare dans des considérations qui n’ont pas grand-chose à voir avec le document étudié et l’objectif d’apprentissage visé.

Le temps économisé en donnant ou en faisant trouver rapidement les sens des mots permettrait de passer ensuite à des exercices de classement de ces mots par catégorie : noms, verbes, prépositions, adjectifs, etc. Le temps économisé permettrait encore d’effectuer des exercices de substitution (comment relire le texte en remplaçant les mots nouveaux par des synonymes déjà connus) ou des exercices à caractère ludique (jeu de devinette des mots à partir de leur définition ou de leurs synonymes). Les élèves auraient alors l’impression – justifiée – d’apprendre, d’acquérir de nouvelles connaissances et ce, en temps réel.

En lieu et place de tout ça, François Marin ouvre la porte à des moments de flottements dans lesquels s’insinuent des insultes (teubé, fiote), des remarques hors sujet (le discours sur la fierté ou non d’être Français ; l’insignifiance de l’Autriche en tant que pays), etc.

On ne peut bien apprendre qu’en prenant les risques de se tromper, de dévoiler sa fragilité, en osant essayer parfois très maladroitement d’appliquer ce que l’enseignant essaie de faire passer en termes de nouvelles notions ou nouvelles compétences. Il faut pour cela un climat empreint de respect. Sinon, on se tait, on en fait le moins possible.

François Marin ne démontre pas un goût particulier pour cette valeur essentielle en éducation qu’est le respect. Les propos qu’il tient sur l’Autriche sont à la fois stupides et insultants envers une nation qui fut un Empire prestigieux, ayant produit quantité de musiciens, peintres, dramaturges et penseurs.

Si François Marin voulait que le respect existe entre les élèves, il devrait d’abord leur demander de le respecter lui, en tant qu’enseignant. Or que n’a-t-on pas entendu ? Au moment où il finit de donner à Chérif des explications censées lui faire comprendre le mot « succulent », l’élève lance très rapidement un « J’m’en fous ! » qui peut être traduit par « Vos explications ne m’intéressent pas, je tiens juste à crier haut et fort que LES CHEESEBURGERS, ÇA PUE ! »

S’il y a une chose que François Marin ne connaît pas ou ne veut pas connaître, ce sont les vertus de l’éducation positive, avec tous les gestes préventifs qu’elle recommande de poser pour anticiper les malentendus et les écarts de comportement.

Cela se voit dans un autre séquence du film, celle qui montre les premières minutes de cours de l’année. On y voit un prof qui est obligé de hurler dans la classe pour faire s’asseoir tous les élèves et qui commet d’entrée de jeu plusieurs maladresses :

  • il leur fait un discours véhément pour les inciter à se mettre plus rapidement au travail
  • il se laisse couper la parole par une fille qui ergote sur la durée des cours
  • il valide le marchandage exprimé haut et fort par Esméralda qui lui lance « Je refuse d’écrire mon nom sur une feuille tant que vous n’avez pas donné le vôtre » et s’y soumet : « Pas faux ! »
  • il ne réagit pas lorsqu’un élève se moque de son patronyme et qu’Esméralda lance à l’intention du prof « Vous vous êtes fait péter, là, M’sieur ».

La dégradation du climat relationnel qui s’ensuit l’oblige à interrompre son cours en intervenant auprès d’élèves masculins qui, eux provoquent de manière moins subtile et se fond gourmander devant tous les autres élèves, avec la tentation d’exister aux yeux du groupe en tant qu’amuseurs publics. Nous avons ici un bel exemple de laisser-aller qui, au départ, se veut une attitude noble et généreuse mais qui finit souvent par le recours aux cris et aux renvois de cours.

L’art de faire régner un bon climat de classe ne peut être dissocié des savoir-faire didactiques, des méthodes pédagogiques qui, toutes, demandent à être étudiées, apprises, entraînées. Les manières de faire qui relèvent de la seule imitation ou intuition ne suffisent pas et les enseignant·e·s doivent absolument prendre connaissance de ce que la recherche valide ou, au contraire désigne comme contre-productif.
La critique cinématographique dira de François Marin qu’il « n’hésite pas à sortir du cadre académique et à pousser les adolescents jusqu’à leurs limites afin de les motiver, quitte à prendre parfois le risque de l’excès ». (Wikipedia). Chacun jugera des effets d’une telle conception de la pédagogie.

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