L’un (Golem) et l’autre (Pygmalion) effets relèvent des prophéties auto-réalisatrices ou des effets d’étiquetage. Ces phénomènes désormais clairement identifiés affirment que l’individu concerné ou son entourage peuvent être influencés par des croyances ou des préjugés aussi bien positifs (effet Pygmalion) que négatifs (effet Golem).
Dans une recherche restée célèbre, les chercheurs Leonore Jacobson et Robert Rosenthal ont démontré la pertinence de ces mécanismes dont tout enseignant·e devrait être conscient·e.
REFUSER LA RÉSIGNATION
Au cours de mes années d’activité en tant que chef d’établissement, j’ai pu en constater l’importance. Lorsque l’institution scolaire se contente de reproduire les inégalités sociales, elle trahit sa mission d’offrir l’égalité des chances. Une fois cette trahison à l’œuvre, elle provoque rancœur, sentiment d’injustice, ou encore violence contre les choses et contre les personnes. A contrario, quand l’école se donne pour objectif de corriger les inégalités de départ en les compensant par une politique volontariste de lutte contre l’échec scolaire, quand les interventions pédagogiques et éducatives deviennent plus efficaces, l’atmosphère se rassérène et les violences diminuent très fortement. Il paraît ainsi hautement nécessaire de résister à toute forme de résignation et de fatalité face à des élèves peu confiants en leurs capacités.
UNE EXPÉRIENCE MENÉE IL Y A CINQ ANS À SEMNAN
Une cinquantaine d’années après la publication de Rosenthal et Jacobson, les chercheurs Jahan, F., & Mehrafzoon, D. ont publié de nouveaux résultats qui confirment ceux de leurs prédécesseurs.
Dans une école secondaire de Semnan, une trentaine d’élèves ont été choisis pour documenter la recherche menée par Jaha et Mehrafzoon. Ils ont dû d’abord répondre à deux questionnaires destinés à mesurer leur sentiment d’efficacité personnel et leur engagement dans leurs études. On les a ensuite répartis au hasard dans deux sous-groupes de 15 individus. Ceux du groupe expérimental ont été pris en charge par des enseignants ayant reçu une formation intégrant une sensibilisation à l’effet Pygmalion à hauteur de 3 séances de 60 minutes sur un total de 10. Durant 7 autres séances d’une même durée, d’autres thèmes ont été travaillés parmi lesquels nous mentionnerons l’importance du rôle de l’enseignant, les renforcements positifs, les sanctions, les entretiens profs-élèves, la fixation d’objectifs d’apprentissage, la réponse à l’intervention, les activités de remédiation, etc.
Durant le même laps de temps, les enseignants dévolus à la prise en charge des 15 élèves du sous-groupe témoin n’ont reçu aucune sensibilisation ni formation particulière.
AMÉLIORATION DU SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNEL ET DE L’ENGAGEMENT DANS LES ÉTUDES
Le résultat de la recherche a été calculé en analysant les résultats obtenus par les élèves des deux sous-groupes à un prétest, en les comparant à ceux d’un post-test portant sur le sentiment d’efficacité et l’engagement dans les études. Il démontre assez clairement l’amélioration de ces deux paramètres dans le groupe expérimental alors que ce n’est pas le cas dans le groupe témoin (voir tableau ci-après extrait de Jahan, F., & Mehrafzoon, D. (2019) ).
Les auteurs concluent en confirmant ce qu’avaient constaté plusieurs études antérieures : le regard porté par l’enseignant sur chacun de ses élèves et ses performances renforce l’image que ceux-ci se font d’eux-mêmes. Plus ce regard est positif, plus croît le plaisir au travail et, partant, la motivation à s’impliquer dans son cursus scolaire. Voilà pour l’effet Pygmalion.
EFFET GOLEM
A contrario, continuent les auteurs, lorsque les élèves ont une faible estime d’eux-mêmes, qu’ils s’en trouvent moins motivés à travailler et qu’ils le font savoir à leurs enseignants, ceux-ci s’engagent moins fortement, confirmant ainsi l’effet Golem. « Quand un enseignant croit en des capacités faibles d’un élève,il lui donne moins souvent raison, il maintient une distance plus importante, il lui sourit moins souvent et le regarde moins dans les yeux, il manifeste moins de soutien quand il intervient en classe, il lui offre moins d’opportunités pour apprendre, l’interroge moins souvent et sur des contenus moins complexes, il persiste moins dans ses efforts à le motiver, lui donne moins d’indices pour trouver une solution à un problème, reformule moins les questions et lui laisse moins de temps pour répondre. En cas d’erreur, il le critique davantage que ses camarades et le récompense moins en cas de succès ».
LA PART SUBJECTIVE DES ÉVALUATIONS
Il est un domaine où l’effet d’étiquetage peut tout particulièrement s’exercer, c’est celui de l’évaluation de productions d’élèves. Les auteurs Jaha et Mehrafzoon en parlent peu, mais d’autres chercheurs l’ont fait avant eux.
Ainsi, selon André (2015) et Hadji (2018), lorsqu’un enseignant corrige les copies de ses élèves, il doit lutter contre de nombreux biais. Pierre Vianin (2022) les cite et nous les reproduisons ici :
« Les effets d’ordre ou de succession : les notes changent selon la place occupée par la copie dans le paquet. Les épreuves corrigées en dernier sont en général sous-évaluées.
Les effets de contraste : la copie qui précède influence la correction de celle qui suit. Après une bonne copie, la suivante est sous-évaluée.
Les effets d’attente : le regard positif ou négatif posé sur l’élève , sa réputation induisent des attentes elles-mêmes positives ou négatives qui biaisent l’évaluation. Ainsi, la même copie est mieux évaluée si elle est attribuée à un bon élève.
Les effets d’assimilation : si l’enseignant connaît les notes obtenues antérieurement, il a tendance à ajuster l’évaluation de sa copie.
Les effets de genre : les copies des filles sont en général surévaluées.
Les effets de halo : la notation des enseignants est biaisée par l’image qu’ils se font de l’élève. Ainsi, il aura tendance à oublier plus facilement des erreurs dans une dictée produite par un bon élève que dans celle d’un élève en difficulté.
Les effets de fatigue ou d’ennui : l’évaluation du même examen dépend de la fatigue de l’enseignant et ou de sa propre motivation à corriger ses copies.
Les effets du redoublement. Le jugement des épreuves est plus sévère lorsque l’élève a redoublé ».
Un premier correcteur attribue 5,5/20 à une copie alors que le même document peut obtenir 17,5 points sur 20 s’il est corrigé par une autre personne. Plusieurs expériences ont démontré l’existence d’écarts de ce type.
DES ÉCARTS MAJEURS DANS L’ÉVALUATION D’UNE MÊME COPIE
De nombreuses expériences de multi corrections ont été effectuées tant avec des copies réelles qu’ avec des copies construites et tous les résultats concordent. « Notée par des correcteurs différents, une même copie peut obtenir des notes très différentes. Par exemple de 5,5/20 à 17,5/20 pour une composition française et de 3,5/20 à 11,5/20 pour un devoir de mathématiques » (Hadji, 2018, page 17. cité par Vianin. 2022, pages 55).
L’ANTIDOTE
Pareilles conséquences de la subjectivité de l’enseignant·e aux moments d’évaluer un travail ou d’enseigner des nouvelles notions s’avèrent graves et contraires à l’éthique de la profession. Elles plaident pour une large diffusion des données mentionnées ci-dessus, pour un recours accru à la formation continue, pour des collaborations et des échanges entre professionnels opérant dans des environnements ou des classes du même type dans le souci de garantir davantage d’équité et d’égalité de traitement. Les directions d’établissement, enfin, doivent prendre au sérieux et assumer pleinement leurs tâches de régulation bienveillante.
PUBLICATIONS ET OUVRAGES CITÉS DANS L’ARTICLE
André, B., & Richoz, J. C. (2015). Parents et enseignants: de l’affrontement à la coopération.
Hadji, C. (2018). L’évaluation à l’école. Pour la réussite de tous les élèves. Paris : Nathan.
Jahan, F., & Mehrafzoon, D. (2019). Effectiveness of pygmalion effect-based education of teachers on the students’ self-efficacy and academic engagement. Iranian Journal of Learning & Memory, 1(4), 17-22.
Vianin, P. (2022). De l’échec scolaire à la réussite: Accompagner l’élève en difficulté d’apprentissage. De Boeck Supérieur.