Quand, dans une classe ou un établissement scolaire, des élèves très faibles ont l’impression d’être abandonnés à leurs difficultés sans plus aucun espoir de pouvoir bénéficier des enseignements prodigués pendant les cours, ce n’est positif pour personne.
Ce n’est bon ni pour l’adulte qui enseigne, ni pour les parents, ni pour l’élève lui-même dont l’image de soi se dégrade et le pousse à chercher des alternatives à cette situation hautement inconfortable voire douloureuse.

Il est ainsi très important de prendre en charge ces élèves, de faire renaître chez eux l’espoir d’acquérir les compétences nécessaires à réussir sa scolarité et bien préparer son avenir.

PRISE EN CHARGE DE 3e NIVEAU

Quand nous parlons ici d’élèves très faibles, il s’agit de ceux qui relèvent du 3e niveau d’interventions pédagogiques. Nécessitant une attention particulière de la part des enseignants, ils sont également pris en charge par des intervenants extérieurs.

PREMIERS ENJEUX D’INTERVENTIONS PARTAGÉES

Pour que l’intervention de tierces personnes soit efficace, il faut qu’elle s’appuie sur une concertation avec le maître titulaire et repose sur une relation d’estime mutuelle. Enseignant titulaire et maître d’appui doivent se parler et s’écouter attentivement pour parvenir à dresser un inventaire pertinent des faiblesses, des lacunes ou des problèmes de l’élève en difficulté. Plus ils parviendront à détecter le « point nodal » (Vianin, 2022) et mieux ils seront capables de définir des priorités d’intervention. Il n’est pas inutile de rappeler ici que s’acharner sur les effets d’un dysfonctionnement (par exemple, des lacunes et un manque de motivation en mathématiques) est nettement moins efficace que la recherche de sa cause (par exemple la croyance en une impossibilité congénitale à être bon en maths, associée à un devoir de fidélité aux faiblesses de ses parents) qui permet alors d’effectuer un travail ciblé et coordonné à partir de cet élément central.

Lorsqu’un élève très faible du 3e niveau revient dans le groupe, que ce soit de manière ponctuelle ou durable, l’enseignant titulaire doit prendre le relais de ce qui se fait en cours particulier. Il s’agit alors de montrer à l’élève qu’il est toujours un membre à part entière du groupe-classe.

AIDES, RENFORCEMENTS POSITIFS DIVERS ET VARIÉS

Un travail en profondeur sur le point nodal et les objectifs d’apprentissage qui en découlent n’exclut pas le fait que l’élève très faible doit pouvoir compter sur davantage d’explications, sur le recours à des supports et des actions pédagogiques supplémentaires pour pouvoir progresser, sans oublier des encouragements de toutes sortes (Boyer, 2010). Cela n’est pas contesté – même si cela n’est pas toujours appliqué.
Quand, parmi ces aides, on mentionne des feedbacks faisant l’objet d’une note entrant dans la composition de la moyenne périodique, il est fréquent de susciter des réserves, voire des oppositions de la part des enseignants titulaires. Nous nous proposons d’examiner cette question plus en détail.

BIENFAITS DES FEEDBACKS
Les feedbacks sont de la plus haute importance pour l’ensemble des apprenants (Hattie, J. & Timperley H., 2007), Bocquillon, M. 2020) et les élèves très faibles ne font pas exception à la règle, bien au contraire. L’urgence de combler de grosses lacunes de façon rapide et décisive représente un défi et un enjeu majeurs. Ce qui se joue, c’est le sentiment d’efficacité personnelle d’élèves qui ont parfois perdu une bonne partie de leur estime de soi et l’espoir de rejoindre un jour le niveau de leurs camarades de classe. Pour ces raisons, les feedbacks recommandés sont ceux fournis par des évaluations courtes et régulières centrées sur des objectifs d’apprentissage simples mais essentiels. De telles évaluations sont formatives au sens où l’entend la pédagogie de maîtrise.

ENCOURAGER LES EFFORTS CONSENTIS PAR L’ATTRIBUTION DE NOTES

Lorsque les premiers efforts des élèves, associés aux bonnes stratégies d’apprentissage sont au rendez-vous, il est logique qu’ils reçoivent des récompenses tangibles ou intangibles voire même, pour les plus âgés, des (bonnes) notes qui attestent l’acquisition de nouvelles compétences et valident la progression obtenue. Tous les enseignants ne sont pas d’accord avec le passage de tests spécifiques accompagnés de l’attribution de notes. Ces résistances renvoient à trois types de réserves : crainte de non-conformité avec les règlements, de ne pas respecter le principe d’égalité de traitement ou de fausser la juste orientation-sélection des élèves.

PERCEPTIONS DE LA JUSTICE, TELLE QUE RESSENTIE PAR LES ÉLÈVES

Face aux évaluations fournies par les profs, les élèves réagissent différemment selon qu’ils sont scolairement forts ou faibles (Voirnesson, B., 2022). Les forts estiment généralement que les évaluations sont effectuées correctement et, par conséquent, les ressentent comme justes. Ce n’est pas le cas des élèves faibles pour qui les enseignants ne tiennent pas assez compte des efforts fournis et donnent ainsi des notes qui ne sont pas assez équitables (Voirnesson, B., 2022).
Le sentiment de justice des élèves est lié à d’autres corrélations qui ont été relevées par Desvignes, S., & Meuret, D. (2009) :

« L’enseignant juste se rapproche de l’enseignant efficace tel que l’a décrit Felouzis, à savoir un enseignant qui réussit à faire régner dans la classe une atmosphère de discipline propice au travail, et qui entretient des relations chaleureuses avec les élèves.

L’enseignant injuste, lui, se rapproche de l’enseignant inefficace, c’est-à-dire distant avec les élèves, méprisant, et qui renonce à mener à bien sa tâche éducative.

Enfin, un autre élément apparaît déterminant dans la genèse du sentiment de justice ; il s’agit de l’aide, du soutien que les enseignants apportent à leurs élèves ».

La crainte de paraître injuste lorsque l’on se donne la peine d’encourager les élèves les plus faibles (ceux pour qui les interventions de 1er et de 2ème niveau n’ont pas produit d’effets) ne paraît donc pas fondée, surtout si on le fait dans un troisième temps, une fois que les faiblesses ont été dûment identifiées. Les camarades de classe se rendent bien compte de la nécessité de passer par là pour éviter le décrochage partiel ou complet de celle ou celui qui est complètement dépassé.

LA DIFFÉRENCIATION DE L’ÉVALUATION À LA LUMIÈRE DES TEXTES LÉGAUX

Familiers de l’école genevoise, nous nous limitons ci-après à mentionner certains extraits de la législation de notre canton suisse. Il est très probable qu’elle comporte de grandes similitudes avec celles d’autres ordres d’enseignements, d’autres régions et pays. Les passages que nous citons ci-après sont extraits de Clarifications sur l’évaluation au CO Année scolaire 2023-2024 (éd. 08.2023), document téléchargeable sur le net. (Cf. bibliographie, ci-après).

Face à une trop grande hétérogénéité des élèves d’une même classe, il est possible de différencier l’évaluation.

« Différentes méthodes permettent de différencier l’évaluation en fonction des niveaux d’attente du PER, comme ajouter ou supprimer des questions selon la progression des apprentissages prévue pour chaque niveau, modifier le niveau de difficulté des tâches complexes, adapter les exigences de réalisation ou encore ajuster les critères d’évaluation ».

« Art. 35 Objectifs

1 L’évaluation peut prendre diverses formes, notamment certificative, formative ou diagnostique.

 2 L’évaluation […] permet de vérifier le niveau de maîtrise de l’élève face aux attentes fixées par le plan d’études romand et ses spécificités cantonales.

3 Elle est utile à la progression, à l’orientation de l’élève et vise à mettre en valeur les acquisitions.

Les activités d’évaluation, qu’elles soient formatives ou certificatives, peuvent porter aussi bien sur des tâches de restitution, d’application que de mobilisation (tâches complexes).

L’évaluation est avant tout un outil au service de l’enseignement, des apprentissages et de la progression des élèves ».

Référence au règlement du cycle d’orientation (C 1 10.26, RCO)

Art. 36 Bases d’évaluation

« Dans l’évaluation du travail, il peut être tenu compte de la situation particulière de l’élève, telle que la santé, la langue maternelle (au sens de l’article 31, alinéa 2) ou un contexte exceptionnel, sous la responsabilité de la direction. Si des adaptations conséquentes et modifiant la valeur de l’évaluation sont nécessaires, un commentaire dans le bulletin scolaire précisera les aménagements dont a bénéficié l’élève concerné ».

On le voit, les situations exceptionnelles – et celles du 3ème niveau de la réponse à l’intervention en font partie – peuvent faire l’objet d’évaluations validant les progressions des élèves concernés, en tenant plus ou moins compte de leurs spécificités. Les enseignants qui recourent à de telles pratiques ne risquent pas d’avoir des ennuis avec leur hiérarchie.

ÉVALUATION CERTIFICATIVE VS FORMATIVE

La crainte de fausser les processus d’orientation (ou de sélection), mission dont beaucoup d’enseignant·e·s se sentent investi·e·s, s’avère évitable si l’on évite de mélanger tests à fonction formative et normative ou certificative (Pasquini, 2021). En jouant sur la pondération des uns et des autres, il devient parfaitement possible de donner des signaux d’encouragement à certains élèves, tout en les confrontant à leur véritable niveau en regard des objectifs d’apprentissage tels que prévus par les programmes et les évaluations communes.

CONCLUSION

En conclusion, nous rappellerons que la réponse à l’intervention est un processus pédagogique qui comporte un effet d’ampleur impressionnant de 1,07 (Hattie, J. 2017). Il apparaît ainsi comme autorisé et même vivement recommandé. Moins il y aura d’élèves décrocheurs et plus la paix sociale sera favorisée.

OUVRAGES CITÉS OU CONSULTÉS :

Bocquillon, M. (2020). Quel dispositif pour la formation initiale des enseignants? Pour une observation outillée des gestes professionnels en référence au modèle de l’enseignement explicite (Doctoral dissertation, Université de Mons).

Boyer, C. (2010) : Le programme orthopédagogique DIR en lecture – L’intervention intensive en lecture. Québec : Les éditions de l’apprentissage.

Boyer, C., & Bissonnette, S. (2021). Comment exercer une gestion rationnelle axée sur les résultats? Exemple de la mesure de l’effet d’un programme orthopédagogique sur le rendement des élèves. Enfance en difficulté, 8, 95-126.

Clarifications sur l’évaluation au cycle d’orientation. Canton de Genève, année 2023-2024, document consulté le 30.11.23 sur Internet à l’adresse https://edu.ge.ch/enseignement/enseignement/enseignement/system/files/2021-08/clarifications-evaluation-co.pdf

Desrochers, A., & Guay, M. H. (2020). L’évolution de la réponse à l’intervention: d’un modèle d’identification des élèves en difficulté à un système de soutien à paliers multiples. Enfance en difficulté, 7, 5-25.

Desvignes, S. Meuret, D. (2009). Les sentiments de justice en France et pourquoi. Dans M. Duru-Bellat, D. Meuret (Ed.) Les sentiments de justice à et sur l’école (pp.187-199). Bruxelles : De Boeck

Hattie, J., & Timperley, H. (2007). The power of feedback. Review of educational research, 77(1), 81-112.

HATTIE John : L’apprentissage visible pour les enseignants, PUQ, 2017

Pasquini, R. (2021). Quand la note devient constructive. Évaluer pour certifier et soutenir les apprentissages. Presses de l’Université Laval.

Vianin, P. (2022). De l’échec scolaire à la réussite: Accompagner l’élève en difficulté d’apprentissage. De Boeck Supérieur.

Voirnesson, B. (2022). Normes de justice adolescentes et expérience subjective des sanctions scolaires (Doctoral dissertation, Université de Bretagne occidentale-Brest)

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