Très régulièrement, dans le flux des nouvelles quotidiennes de Suisse, de France et de Navarre, des événements tragiques liés au harcèlement scolaire viennent nous rappeler qu’il ne suffit pas de débloquer des fonds ni de monter des programmes pour faire définitivement disparaître ce fléau scolaire qui fait tant de mal sur son passage.
Après avoir consacré trois articles à cette thématique, je souhaite y revenir pour, cette fois-ci, tenter de proposer à l’attention des directrices et directeurs d’école un modèle d’intervention issu de lectures récentes mais aussi d’expériences accumulées au fil d’une vingtaine d’années de pratique.
DONNÉES FOURNIES PAR LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Si nous en croyons l’excellente synthèse de Senden, M. et Galand, B. (2020), aucune des 6 méthodes d’intervention de base qu’ils ont recensées dans la littérature scientifique ne s’avère clairement plus efficace que les autres. C’est la première conclusion de l’étude. La deuxième, c’est de dire qu’un « travail de sensibilisation et de formation auprès de tous les professionnels scolaires apparaît nécessaire afin de les aider à repérer les situations de harcèlement, et à pouvoir choisir parmi plusieurs approches celle qui sera la plus adaptée à chaque situation, en concertation avec les victimes. Un suivi dans la durée de ces situations semble également nécessaire. »
PREMIER LIEN AVEC LA RÉALITÉ DU TERRAIN
Chaque situation est – potentiellement – différente d’une autre, il s’agit d’une évidence. D’une évidence telle que l’on peut même ajouter que la lutte contre le harcèlement scolaire est un programme trop restreint pour pouvoir figurer tel quel au nombre des tâches d’une équipe de direction.
La lutte contre le harcèlement scolaire n’est qu’un sous-ensemble des missions que l’on confie aux directions pour que les écoles soient des lieux garantissant à tous les usagers des conditions de travail optimales, i.e. sécures ainsi que respectueuses de la dignité et de l’intégrité de chacun.
Cette lutte commence donc par une série de tâches liées à l’anticipation des situations de crise, comme nous le représentons dans l’extrait de tableau ci-dessous :
PREMIÈRES RÉACTIONS EN CAS D’ALERTE
En cas d’alerte, les adultes de l’école doivent traiter l’annonce d’une menace avec la plus grande attention et en toute urgence.
L’écoute de la plainte doit être très attentive et assortie de paroles de soutien, même si le confident a comme première impression qu’il ne s’agit de rien de grave. La dimension subjective d’une souffrance représente un phénomène très personnel qu’il s’agit, à ce stade, de valider. Cela permet d’aborder la question de la protection souhaitée. Et c’est là que surgit le premier écueil.
S’il est des situations où la question de la protection paraît évidente (menaces d’agression par un groupe de camarades, par exemple) il en est d’autres où tant le vécu de l’élève-cible que la nature de la menace rendent l’intervention plus compliquée. C’est notamment le cas lorsque les violences sont symboliques, construites de manière sournoise et que la victime pourrait, sans le savoir, préférer subir le rôle de souffre-douleur plutôt que de ne plus exister du tout aux yeux de l’ensemble de classe.
Dans les cas de violences physiques ou verbales déclarées, les intervenants doivent immédiatement passer aux stades 4, 5, 6 et 7 du tableau.
Quand il s’agit de violences symboliques (mise à l’écart construite de l’élève-cible, allusions indirectes à ses particularités physiques, sociales etc.) avec, de surcroît, un attrait pour le rôle de souffre-douleur de la part de la victime, il conviendrait plutôt de privilégier un passage par les étapes 4, puis 7 à 10. Encore que le point 4 ne soit nécessaire que si la victime est en grave danger de commettre un acte irréparable. En pareille situation, il est important de prendre l’avis de représentants du monde médical (médecin, infirmier, psychologue).
INTERVENTIONS FACE À DES CAS DE VIOLENCES PHYSIQUES OU VERBALES DÉCLARÉES
En pareille situation, le devoir de protection imparti aux directions d’établissement me paraît indiscutable. Que peut-on craindre de pire que des coups, l’atteinte à l’intégrité physique de l’élève-cible ou son effondrement psychique le conduisant à commettre l’irréparable ?
Afin d’éviter des injustices, les stades 3, 4 et 5 seront appliqués de façon simultanée, en expliquant bien aux potentiels agresseurs et à leurs parents que la prise de ces mesures n’équivaut pas à les déclarer coupables. Une enquête sérieuse permettra d’établir les responsabilités de chacun et de fixer les sanctions appropriées. Pendant l’enquête cependant, les agresseurs potentiels contactés devront tout faire pour protéger la victime, sous peine d’être alors reconnus coupables de désobéissance à l’autorité scolaire. La mise en garde s’applique à leurs camarades et à tous ceux qui pourraient agir sur mandat des suspects.
INTERVENTIONS LORS DE VIOLENCES CACHÉES, SYMBOLIQUES OU CONSTRUITES
En pareil cas, et notamment lorsque les agressions sont sournoises et cachées, les méthodes qui permettent de travailler sur les collègues de l’élève-cible peuvent intervenir. Cela se concrétise dans la variante 3’, 4’ et 5’ décrite ci-dessous.
De l’aveu-même des défenseurs de ces méthodes non-punitives, elles ne peuvent garantir d’être à chaque fois couronnées de succès. C’est la raison pour laquelle, les adultes de l’école doivent toujours veiller à protéger l’élève-cible. Si des vexations subsistent, il faut alors revenir au schéma de base.
FAUT-IL SANCTIONNER OU NON ?
Il serait plus simple de se demander « Quand ne faut-il pas sanctionner ? » tant il est vrai que, pour la crédibilité de l’institution et des adultes, tout écart dûment établi doit se heurter à une forme de sanction aussi légère et symbolique soit-elle.
L’absence de sanction ne me paraît justifiée que si les violences sont tellement masquées et anonymes que leur application pourrait générer un fort sentiment d’injustice. Sentiment de révolte qui finirait par nuire à l’élève-cible.
Dans tous les autres cas ou si les méthodes de type « Groupe de soutien » échouent, il convient de sanctionner les écarts et d’engager un travail de rééducation des auteurs.
TRAVAIL SUR LA DURÉE
Quand on est pris dans le tourbillon des urgences du quotidien, la tentation est grande de considérer comme clos un cas de harcèlement ou d’agression qui est apparu comme pacifié. Et pourtant, il faut impérativement effectuer un suivi. Car le risque que le conflit ne renaisse sous les cendres apparemment refroidies est tout à fait réel.
Dans ces étapes d’assainissement, de reconstruction et de suivi, toutes les techniques susceptibles de renforcer les bons comportements, d’apprendre aux élèves à bien vivre ensemble, à savoir gérer ses émotions et construire des pactes de non-agression ou de bonne collaboration sont les bienvenues.
LE BESOIN EN PERSONNES FORMÉES ET EXPÉRIMENTÉES
Encore faut-il pouvoir compter sur des professionnels formés, sachant travailler en collaboration avec les enseignants, les parents et l’équipe de direction, en évitant de s’enfermer dans une logique de travail en silo. C’est là que l’annonce de programmes de formation et d’injection de moyens financiers sérieux prennent alors du sens.