LA DENSITÉ DES CONTENUS À ABORDER
Les programmes scolaires proposent tellement de contenus à aborder que l’enseignant peut être tenté de les traiter de manière trop rapide, trop superficielle pour que les élèves puissent vraiment bénéficier de tous les apports attendus de cette discipline.
Ces apports sont, peu ou prou, ceux mentionnés par Chilcoat, G. et Ligon, J. (1990) quand ils précisent ceci.
L’enseignement de l’histoire à l’école peut être considéré comme
1. UN ENSEMBLE DE CONNAISSANCES À PROPOS DU PASSÉ
2. UN VECTEUR DE TRANSMISSION D’UN HÉRITAGE CULTUREL
3. UN PROCESSUS INTELLECTUEL qui vise à apprendre « comment l’historien fait de l’histoire »
4. UN MODE DE PENSÉE SERVANT À DÉVELOPPER LA CONSCIENCE HISTORIQUE avec, notamment, une sensibilité particulière à l’endroit de la condition humaine.
5. L’ÉTUDE DES ACTIONS DE L’HUMAIN ET DE L’HUMANITÉ et notamment la façon dont elles se sont développées.
6. UN VECTEUR D’INSTRUCTION CIVIQUE
7. UN MOYEN POUR COMPRENDRE LA SOCIÉTÉ ET LE PRÉSENT en acquérant des clés de lecture de la réalité sociale et de son développement.
8. UN MOYEN ET UN PRÉTEXTE POUR DÉVELOPPER DES VALEURS
Un survol trop rapide des périodes à étudier aurait comme conséquence de se limiter à la première identité mentionnée dans la liste, de se borner par conséquent à une forme de bourrage de crâne.
Le second inconvénient lié à un programme trop chargé serait de faire croire à l’enseignant qui hérite d’élèves sortant de l’école primaire qu’il peut tabler sur un socle de connaissances à la fois larges et bien ancrées dans la mémoire de ses protégés. Il s’agirait évidemment là d’une illusion dont les premières victimes seraient les enfants de familles ayant un environnement culturel restreint.
Pour éviter de prétériter ces élèves, la solution réside dans le passage par un contrôle systématique et préalable des notions nécessaires à la bonne compréhension des nouvelles séquences. Cette vérification peut et doit même déboucher sur l’enseignement ou le ré-enseignement des notions, des concepts ou du vocabulaire non maîtrisés. On relèvera peut-être le risque d’avancer trop lentement dans le programme de l’année en cours et de prendre un nouveau retard. A supposer que cela se passe, ce risque peut être pris avec des enfants qui sont encore jeunes et doivent vivre une transition déjà compliquée entre le monde de l’école primaire et celui du secondaire I. Plus tard, ils auront très certainement la maturité nécessaire pour combler eux-mêmes les éventuelles lacunes en matière de connaissances historiques.
L’INSTITUTIONNALISATION DES SAVOIRS.
Si l’on veut emmener les élèves à une découverte du passé qui soit empreinte d’empathie et de respect envers nos ancêtres, il faut effectuer des détours obligés par l’histoire des techniques, des croyances, des sciences et des mœurs passées, pour ne citer que ces champs-là. Il convient même parfois d’expliquer comment fonctionne la société d’aujourd’hui, je veux parler du monde des adultes avec ses problèmes politiques, institutionnels, financiers, etc. pour rendre compréhensibles les événements historiques qui, généralement, n’impliquent que des personnes ayant atteint la majorité civile et l’indépendance économique.
Une fois toutes ces explications données, il faut absolument dégager l’essentiel de la matière abordée, indiquer clairement aux élèves les notions ou les enseignements à retenir. C’est la phase d’institutionnalisation des savoirs qui doit être très clairement explicitée, voire fournie par écrit aux élèves.
TIRER DES ENSEIGNEMENTS DU PASSÉ, MAIS COMMENT ?
Comment favoriser les effets attendus des dimensions de l’histoire mentionnées ci-dessus aux points 4,5, 7 et 8 ?
L’étude de la majorité des séquences d’histoire abordées en classe devrait déboucher sur des questionnements. Le principal d’entre eux doit amener l’élève à saisir l’apport de l’histoire en vue d’un meilleur décodage des événements présents, à une compréhension plus empathique du genre humain, à la mise en évidence de valeurs qu’il convient de promouvoir et défendre dans nos sociétés.
Ce genre d’exercice de réflexion doit être entouré de précautions – quand il est évalué et noté – pour éviter de pénaliser certains élèves qui ne le méritent pas.
Voici deux exemples à titre d’illustration.
Au terme d’un cours sur la démocratie athénienne, l’enseignant fait passer un test. L’une des questions du test est ainsi formulée :
Rédige un texte court expliquant pourquoi Périclès peut être considéré comme un grand homme politique, un des pères fondateurs de la démocratie.
Réponse de l’élève :
On dit que Périclès aimait la démocratie mais je trouve pas. Les femmes et les esclaves pouvaient pas voter ou devenir président de la République (sic). C’était pas juste, c’est pas un exemple.
L’élève a été pénalisé pour cette réponse qui, pourtant, démontrait qu’il s’était intéressé au thème de la leçon, avait tenté de faire des liens avec le monde contemporain.
Deuxième exemple :
Après une séquence sur les colonies et le commerce triangulaire, l’enseignant fait passer une épreuve comprenant la tâche suivante :
Rédige un développement construit dans lequel tu expliques pourquoi la Déclaration de l’Homme et du citoyen de 1789 représente un tournant historique dans l’histoire de l’esclavage.
Réponse de l’élève :
La déclaration de l’Homme et du citoyen dit que tous les hommes sont libres et égaux. Il ne devrait plus y avoir d’esclaves. Mais après 1789 on voit toujours des esclaves dans la Case de l’oncle Tom en Amérique. Même en 2020, Wikipédia dit qu’il y a des millions d’esclaves dans le monde, chez nous aussi.
Remarque de l’enseignant :
Je vous avais demandé de vous limiter au contenu du cours que je vous avais donné en classe pour effectuer TP et récitations.
EXPLICITER LE CONTRAT DIDACTIQUE
Dans les exemples ci-dessus, les élèves ont tous deux raison, d’une certaine manière. Leur tort – si tort il y a -, c’est de rompre le contrat didactique. Le premier en pêchant par anachronisme et le deuxième par inattention ou par ignorance des consignes. Ce dernier n’a pas entendu ou pas voulu entendre les recommandations de l’enseignant qui avait fixé un cadre imposant les barrières à l’intérieur desquelles l’exercice de la réflexion devait se limiter.
Pour éviter ce genre d’accident – qui peut entraîner des conséquences très démotivantes sur des élèves qui ne sont pourtant pas des dilettantes -, l’enseignant d’histoire doit dire et rappeler que, dans le souci de faire passer les savoirs, il convient de respecter le contrat didactique proposé. « Vous les élèves et moi, le prof, nous allons souvent jouer le jeu de l’historien, oublier un certain nombre des choses qui sont propres au citoyen de l’an 2022 pour mieux nous glisser dans la peau des ancêtres qui nous ont précédés sur terre il y a 100, 200 ou1000 ans de cela ». « Si je vous demande de le faire, c’est pour rendre compréhensibles des savoirs complexes que vous méritez d’acquérir tout au long de votre scolarité ».
ACCEPTER LE FAIT QUE L’HISTOIRE EST COMPLIQUÉE POUR LES MOINS DE 16 ANS
Si je jette un regard à la fenêtre de mon bureau de travail, je vois un paysage lacustre avec des collines et des montagnes. En géographie, cette vue renvoie à une continuité rassurante. Cela fait seize mille ans que le soleil se reflète dans le lac, qu’il le colore en bleu, en noir ou en vert au fil des caprices du ciel ou de la force des vents. Quand Jules César est passé par là, au premier siècle avant Jésus-Christ, le Mont-Blanc culminait déjà à plus de 4000 mètres d’altitude, coiffé de ses merveilleuses neiges éternelles.
En histoire, c’est le contraire. Le même paysage peut être vu comme témoin de ruptures fréquentes.
Le Mont-Blanc n’est devenu français qu’à partir de 1860. Auparavant, il était situé sur le territoire du royaume de Sardaigne. Un peu plus tôt, cette montagne – que l’on appelait Glaciales Montes ou la (sic) Mont Maudite (sic) – était … savoyarde, la Savoie n’étant pas un Département français mais un duché relié pendant plusieurs siècles au Saint Empire romain germanique. Que de changements pour les historiens en seulement 300 ans, alors que les géographes nous disent que ce magnifique sommet domine orgueilleusement les Alpes depuis plusieurs centaines de milliers d’années !
Avant l’âge de 16 ans, ces changements, généralement liés aux rivalités territoriales et politiques propres aux adultes, ne sont pas trop capables de susciter l’intérêt des élèves qui, pourtant, doivent acquérir les connaissances qui constituent « la base de l’alphabétisation sociale ». S’agit-il, dès lors, pour les profs d’histoire, d’une mission impossible ?
LES ATOUTS DE L’HISTOIRE FACE À LA GÉOGRAPHIE
La force et la chance de l’enseignement de l’Histoire, ce sont les moments où les anecdotes, les fragments de vie privée, les événements insolites croisent et viennent alimenter l’Histoire avec un grand H.
Jadis, un bon prof d’histoire était celui qui possédait des dons de conteur. Aujourd’hui, c’est celui qui, en plus, sait trouver le reportage, la fiction, la sortie scolaire ou le travail sur des sources authentiques au bon moment et à bon escient. C’est celui qui parvient à réveiller l’imaginaire des jeunes élèves, à titiller leur curiosité, à stimuler leur envie de résoudre des énigmes dans le but ultime de les intéresser à tout ce qui rend plus ouvert, plus tolérant et plus pertinent dans l’analyse critique des événements actuels. On peut à bon droit appeler cela un véritable défi, mais un défi stimulant.
OUVRAGES ET SITES CONSULTÉS POUR CET ARTICLE :
Chilcoat, G. et Ligon, J. (1990): Elements of Info schemata and Cognitive Beliefs of Historians and History/Social Studies Educators as Reflected in the Goals, Objectives, and Aims They Posit for “History” and the “Study of History” on the Pre-Collegiate Level, Communication donnée aux Assises annuelles de l’American Educational Research Association Boston (ERIC ED322159)
Martineau, R. (2010) : Fondements et pratiques de l’enseignement de l’histoire à l’école, Québec, PUQ.
Site du plan d’études romand (PER) : https://www.plandetudes.ch/web/guest/histoire