Quel regard porte l’enseignement explicite, en tant que méthode d’enseignement, sur la différenciation ? La réponse est toute en nuances. Sur les réseaux sociaux où l’attention du lectorat doit être captée rapidement puis maintenue à tout prix, de telles nuances sont vite source de malentendus.

VOUS AVEZ DIT « DIFFÉRENCIATION » ?

Ainsi, le 20 mai 2021, un lecteur interpellait Steve Bissonnette en lui demandant s’il convenait de faire une différence entre une Pédagogie de la différenciation et la Différenciation de la pédagogie. « Il y a autant de définitions [de la différenciation] que ceux qui en parlent, lui répondit M. Bissonnette, mais le seul modèle supporté par la recherche […] est le modèle de réponse à l’intervention ». Et de renvoyer ledit lecteur à l’article de blog de Greg Ashman, intitulé : Differentiation : it’s now time to think again.

UNIVERSAL DESIGN FOR LEARNING (UDL)

Dans sa publication, Greg Ashman fait état d’une controverse assez virulente entre lui-même, Linda Graham et Kathy Cologon, deux chercheuses qui prônent la différenciation et, notamment, le modèle intitulé Universal Design for Learning (UDL). Selon Ashman, une méta-analyse a révélé que si l’UDL améliorait le processus d’apprentissage, son impact sur les résultats scolaires n’avait, lui, pas été démontré.

POUR SORTIR DES AMBIGUÏTÉS

Pour Ashman, le débat se perd dans trop d’ambiguïtés.  Parle-t-on de différenciation au sein de groupes très hétérogènes, de sections constituées d’élèves aux mêmes profils ou alors d’autres formes de différenciation qui, dit-il, se contredisent parfois les unes les autres ? Et de citer l’exemple d’un élève qui a de gros problèmes avec le déchiffrage des supports écrits. Certains adultes référents vont, au nom de la différenciation, demander qu’il puisse bénéficier de contenus enregistrés alors que d’autres prôneront des mesures de soutien pour combler et rattraper ce retard.

A la fin de son article, Ashman livre quelques conclusions parmi lesquelles nous retiendrons celle-ci : La meilleure alternative à la différenciation peut être la Réponse à l’intervention.

ENSEIGNEMENT EXPLICITE – RÉPONSE À L’INTERVENTION

En enseignement explicite, la Réponse à l’intervention (RAI) et la différenciation sont deux concepts étroitement liés.

Gauthier, Richard et Bissonnette (2013) recommandent d’ « intervenir d’abord avec une démarche d’enseignement explicite, puis de différencier les interventions pour les élèves qui éprouvent encore des difficultés » p. 84. Ce qui sous-tend cette recommandation, c’est un constat que l’on retrouve détaillé et argumenté dans un ouvrage de 2020 (Desrochers et Guay p.6) : les difficultés d’apprentissage sont dimensionnelles plutôt que catégorielles. Concrètement, cela signifie que l’on doit confronter tous les élèves à une nouvelle matière ou à une nouvelle tâche avant de pouvoir établir si ces défis font apparaître des problèmes … ou pas. Car un élève qui aura connu de grosses difficultés lors d’un chapitre précédent n’en rencontrera pas forcément lors du suivant. Ou alors elles seront moindres, voire assez vite surmontées par une explication, un exemple ou un contre-exemple particulièrement bien choisis, etc. Pas nécessaire donc d’anticiper une difficulté supposée, de différencier lors de la préparation du cours. Ce n’est pas le bon moment pour le faire.

PRODIGUER UN ENSEIGNEMENT EXPLICITE DE QUALITÉ = INDISPENSABLE

Dans un premier temps, l’enseignant doit veiller à bien respecter les différentes étapes de l’enseignement explicite car, à chacune d’elles, une bonne réactivation des prérequis, une démonstration claire, un schéma bien construit, une réponse, un exercice pertinent judicieusement exploité peuvent faire toute la différence et, cela, pour plusieurs élèves travaillant dans l’ambiance sécurisante du groupe-classe en ayant la possibilité de s’entraider, de s’échanger des astuces sous le contrôle et l’expertise bienveillante de l’adulte référent.

Faut-il rappeler ici que ce premier lot d’interventions prévoit non seulement un moment de présentation-explications (modelage), un temps dévolu à l’appropriation du contenu en présence de l’adulte (pratique dirigée) mais encore des exercices effectués en pratique autonome et des évaluations pour mesurer le taux de compréhension des élèves. Ce taux doit atteindre les 80%.

NIVEAU 2 : LES PRATIQUES DE DIFFÉRENCIATION SONT RECOMMANDÉES

A la série d’interventions de niveau 1, succèdent les interventions de niveau 2. Il s’agit alors pour l’enseignant de repérer les élèves qui ont des difficultés, d’identifier clairement la nature de celles-ci afin de proposer des mesures différenciées. Les élèves qui présentent des difficultés de compréhension ou d’utilisation de leurs compétences doivent faire l’objet d’une prise en charge spécifique déployée pendant le cours, sans que le reste des camarades ne s’ennuie.

GÉRER DES GROUPES DIFFÉRENTS : UN DÉFI

Nous ne nous étendrons pas ici sur les différentes possibilités qui existent alors pour faire face au problème de la gestion de cette diversité proposée et contrôlée : travaux en sous-groupes ou en paires d’élèves formées d’un camarade plus fort susceptible d’aider son collègue plus faible ; co-enseignement de deux adultes, l’un des deux offrant son appui à un petit groupe ou à un élève particulièrement faible ; groupe-classe recevant une série d’exercices portant sur des notions partant des plus basiques et s’étendant à des défis de haute voltige ; utilisation d’ordinateurs placés dans la salle de classe de manière à accueillir soit les plus avancés soit les plus faibles pour des exercices spécifiques ; fiches de travail, etc.

CRÉER DES GROUPES NE SUFFIT PAS

Relever les défis organisationnels et parvenir à les gérer ne suffit pas. Il convient d’ajouter à cela une réflexion portant sur d’autres aspects qui rendent la différenciation opérante ou non : la fréquence des temps alloués, la mesure de leurs effets, le ciblage des compétences qu’elles visent à renforcer, l’attractivité des moyens mis à leur service pour augmenter la motivation des élèves, etc.

PASSAGE AU NIVEAU 3

Quand les mesures de différenciation précédemment évoquées ont permis de ramener le taux d’élèves en difficulté de 20 à 15%, il convient de passer alors au 3e niveau d’intervention, celui qui s’intéresse aux 5% d’apprenants environ qui ont besoin de soutiens encore plus spécifiques et intenses. Tout ce qui a été dit précédemment à propos de l’identification des problèmes, de la fixation d’objectifs, de la nécessité de contrôler la pertinence des remédiations, de les ajuster si nécessaire reste valable, mais ici, les élèves concernés sont, au moins momentanément, pris en charge hors la salle de classe. Quand ils rejoignent le groupe, que ce soit momentanément ou définitivement, l’adulte référent titulaire doit, par ses actions, compléter ce qui se fait à l’extérieur.

L’enseignement explicite (E.E.) ne se détourne ni de ce type d’élèves, ni des obligations de soutien qu’il revient de leur prodiguer, bien au contraire. Se basant encore et toujours sur des données probantes, l’E.E. s’impose à lui-même de fonder ses interventions avec beaucoup de rigueur, accompagnée d’exigences élevées. Le programme DIR, dont nous avons rendu compte dans deux précédents articles en est un bon exemple.

EN RÉSUMÉ

Les pratiques de différenciation font partie de la méthode de l’enseignement explicite MAIS :

Avant de les proposer aux élèves, il convient d’offrir des cours de grande qualité comprenant des actes savamment conçus pour qu’ils soient compris par des élèves de toutes forces et de toutes sensibilités, des moments durant lesquels l’enseignant donne des explications claires, variées, enrichies par des supports visuels ou auditifs, des moments où tous les élèves peuvent appliquer le contenu à s’approprier selon leurs propres stratégies, effectuer des exercices de diverse nature en bénéficiant de la présence bienveillante de l’adulte qui intègre à son enseignement les remarques des élèves, leurs questions et leurs erreurs.

Un premier train de mesures différenciées s’impose dans la classe lorsque l’enseignant constate qu’une vingtaine de pourcents d’élèves ne bénéficie pas suffisamment du cours standard.

Le troisième degré d’intervention est fourni aux élèves pour lesquels les deux précédents n’ont pas suffi. Il implique un ou plusieurs adultes explicitement désignés pour soutenir, proposer un programme de rattrapage qui sera effectué au moins momentanément en-dehors de la classe.

Cette manière de procéder évite de ranger par avance les élèves dans des catégories qui peuvent s’avérer stigmatisantes ou artificielles et, par conséquent contre-productives.

OUVRAGES, SITES CITÉS OU CONSULTÉS DANS CET ARTICLE :

Ashman, G. (2020) : Differentiation: It is now time to think again; site consulté le 2.06.2021 https://gregashman.wordpress.com/2020/12/05/differentiation-it-is-now-time-to-think-again/

Boyer, C. (2010) : Le programme orthopédagogique DIR en lecture – L’intervention intensive en lecture. Québec : Les éditions de l’apprentissage.

Desrochers, A., Guay, M.-H. (2020) L’évolution de la réponse à l’intervention : d’un modèle d’identification des élèves en difficulté à un système de soutien à paliers multiples in Enfance en difficulté, Volume 7, Mai 2020 : L’approche de la réponse à l’intervention et la prévention des difficultés d’apprentissage à l’école, Université Laurentienne, Ontario.

Gauthier, C., Bissonnette, S., Richard, M., Castongay, M. (2013) : Enseignement explicite et réussite éducative. La gestion des apprentissages. Montréal, Bruxelles : ERPI, de Boeck.

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