Les valeurs dont il est ici question s’entendent par : « Ce qui est posé comme vrai, beau, bien, d’un point de vue personnel ou selon les critères d’une société et qui est donné comme un idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre. » (Cf. Dictionnaire Larousse)
FAUT-IL EXPLICITER LES VALEURS DANS UNE ÉCOLE ?
Dans un établissement scolaire où les valeurs sont omniprésentes une première question se pose : faut-il les expliciter ou, au contraire, considérer qu’elles font suffisamment consensus pour ne pas avoir à les coucher noir sur blanc ?
Lancer une discussion sur des valeurs communes à laquelle participent l’ensemble des enseignant.e.s et l’équipe de direction d’un même établissement scolaire permet de faire émerger des non-dits qui sont autant d’occasions de lever des ambiguïtés, c’est un premier effet collatéral positif.
AMBITION : UN MOT TABOU ?
A l’occasion d’une réflexion de ce genre, il n’est pas rare – je parle de la Suisse – de constater un paradoxe. Alors que les enseignant.e.s invitent leurs élèves à se dépasser pour atteindre des objectifs d’apprentissage ambitieux, ils oublient parfois de mentionner dans les valeurs de base celles qui font référence à la recherche de l’excellence, à l’amour du travail bien fait ou, plus simplement, à l’ambition.
LE RESPECT – CHAMPION DES VALEURS
Une valeur, en revanche, qui fait l’unanimité est celle du respect. En tant qu’enseignant, on est prêt à témoigner du respect pour les élèves, leurs parents, les collègues et la hiérarchie, dont on attend en retour pareille comportement. Chacun des acteurs ici mentionnés fonctionne de la même manière. Manifester du respect pour les autres en leur demandant d’agir de même, telle est la condition pour vivre en bonne intelligence.
BIEN-VIVRE ENSEMBLE
Et vivre en bonne intelligence représente un défi dans des écoles où cohabitent des jeunes de toutes ethnies, religions, coutumes et sensibilités.
On peut gérer un tel creuset en expliquant aux élèves et à leurs familles qu’il faut se référer à des valeurs communes, celles qui représentent un socle commun autant qu’elles reflètent la volonté du peuple souverain.
La première de ces valeurs communes, c’est, encore une fois, le respect. Respect des personnes, des règles, du cadre de travail, des lois, de la liberté de penser et de croyance.
ESPACE PRIVÉ VS PUBLIC
Élèves et parents doivent comprendre que, dans le cercle familial, ils peuvent vénérer tel ou tel dieu, faire des plaisanteries sur les chrétiens, les juifs, les arabes, les noirs ou les homosexuels, collectionner des médailles et des écrits nazis, prétendre que la terre est plate ou que le créationnisme est la seule explication de la diversité des espèces. En privé, oui, ils peuvent revendiquer cette liberté.
COHABITER DANS LA PAIX
Dans l’espace public et à fortiori dans l’école, ils doivent en revanche s’abstenir de blagues et de propos racistes, homophobes, antisémites, etc. tout autant que d’adopter un langage ordurier ou de faire circuler des images dégradantes. Les règlements et les professionnels de l’école le leur demandent, le contrôlent et sanctionnent les écarts, au nom, précisément, du respect, garant d’une cohabitation harmonieuse et pacifique.
Cette manière de différencier espace scolaire, espace public et espace privé et de décliner différemment la liberté d’expression selon que l’on se trouve dans l’un ou l’autre lieu n’est généralement pas contestée.
QUID DES PROVOCATIONS ET DES TRANSGRESSIONS PAR DES ADULTES ?
Tout le monde y trouve son compte, à part les provocateurs, les humoristes et les extrémistes, ceux qui vivent pour, par et de la transgression. Leur exemple influence parfois les élèves à qui il faut alors expliquer que ce qui est accepté, voire encouragé dans un journal satirique ou sur un plateau de télévision ne peut s’exercer à longueur de cours sans limite aucune.
Au nom de la liberté d’expression, une autre valeur démocratique fondamentale, ces humoristes, provocateurs ou polémistes ont le droit d’exister et de s’exprimer sans retenue devant leurs sympathisants ou devant un public averti.
L’école doit en parler bien sûr, mais à la condition que l’on prenne des précautions, à condition que l’on s’adapte à l’âge des élèves et à leur maturité.
LIBERTÉ D’EXPRESSION = LIBERTÉ DE TOUT DIRE ?
Si l’on affirme qu’un cours – et même un cours sur la liberté d’expression – permet de montrer n’importe quelle image, n’importe quel objet et même n’importe quel texte à n’importe quel public, on trahit alors la clé de voûte des valeurs communes d’une communauté scolaire, à savoir celle du respect. Car il y a des objets, des textes, des images qui portent en elles/eux une telle charge émotionnelle, une telle force d’expression que les présenter à un public non averti dans le cadre d’un cours peut être ressenti comme une agression, une atteinte à l’intégrité morale et psychologique des élèves.
LE RESPECT DOIT ÊTRE COMPLÉTÉ PAR D’AUTRES VALEURS
Quand on évoque le ressenti des élèves ou celui des profs, quand on songe qu’un état démocratique est le plus souvent traversé par des valeurs contradictoires (droit à la transgression pour les adultes, dans certaines circonstances particulières versus respect des lois et des institutions), on doit admettre que le respect n’est pas suffisant pour assurer le bien vivre ensemble dans un établissement scolaire. Il faut en rajouter d’autres telles que la bienveillance, la solidarité ou la responsabilité pour ne citer que ces exemples.
VALEURS – RÈGLES – COMPORTEMENTS ATTENDUS
Un des mérites et non des moindres de la définition de valeurs communes permet de donner un véritable sens à l’ensemble des règles qui définissent quels sont les bons comportements et ceux qu’il s’agit d’éviter dans l’intérêt de toutes et de tous.
Certains établissements scolaires établissent des codes de vie sur lesquels figurent les valeurs communes, assorties de règles impliquant des comportements attendus, le tout accompagné d’explications permettant de justifier le lien entre les unes et les autres.
DONNER UNE DIRECTION
Pareil document permet de définir un cap vers lequel chacun va s’efforcer de tendre, un cap décliné en 3 ou 4 valeurs à respecter, promouvoir et défendre. Or il y a plus de 2000 ans déjà que Sénèque avait souligné l’importance d’avoir un cap : « Il n’est pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va », faisait-il remarquer à Lucilius.