Quels sont les bénéfices et les risques de l’amour compassionnel dans l’enseignement?
Dans un précédent article, nous avons vu comment Mael Virat
défendait l’idée qu’un bon enseignant doit développer envers tous ses élèves
une relation qui relève de l’amour compassionnel.
Même s’il s’agit d’une relation consciemment et
volontairement construite, sur la base d’une véritable éthique professionnelle
qui interdit toute forme de relation romantique ou d’emprise psychologique, il
s’interroge sur ses effets.
L’amour compassionnel d’un prof envers ses élèves est-il pour eux positif ?
L’auteur commence par souligner les effets positifs d’un
soutien d’adulte qui relève du mentorat. Une étude menée en 2013 auprès de 2000
jeunes adultes a pu établir que les élèves qui avaient bénéficié d’un mentorat
durant leurs années de lycée atteignaient un plus haut niveau d’étude une fois
parvenus à l’université (p. 92-93).
Une autre étude menée auprès de 120 enfants, publiée
également en 2013, démontre que les élèves qui font le lien entre l’image de
leur enseignant bienveillant et une série d’exercices réussissent mieux que si
ce lien n’est pas convoqué, au moment de l’expérimentation (p. 97).
Théorie de l’attachement et réussite
Pour Mael Virat, de tels résultats permettent d’effectuer un parallèle entre la théorie de l’attachement des enfants envers leurs parents et ce qui se passe à l’école. Plus le sentiment d’attachement aux parents et aux enseignants est fort et plus l’élève se sentira à l’aise pour désactiver ce premier type de liens afin de pouvoir activer ce qu’il nomme les systèmes d’exploration, de curiosité et de découverte (p. 101), gages de prise d’autonomie et de réussite
L’enseignant, ambassadeur de son école et des autres institutions
Plus le lien entre les élèves et leurs enseignants relève de l’estime, de la sympathie et du respect mutuels, plus il renforce le sentiment positif d’appartenir à une communauté scolaire. Une étude de 2003 menée auprès de 450 adolescents démontre qu’un tel état d’esprit induit des représentations plus favorables aux représentants de la justice et de l’ordre public (p.104).
L’amour compassionnel est-il positif pour les enseignant.e.s ?
Déjà dans les écrits de Platon et d’Aristote, rappelle l’auteur, on peut lire les bienfaits de l’eudémonisme, une philosophie ou un art de vivre qui recommandent de construire sa vie en fonction de ses valeurs intellectuelles ou morales. Fournir du soutien à d’autres individus donne du sens à sa propre vie, augmente la confiance en soi et permet de ressentir une certaine joie.
Satisfaction compassionnelle
Après ce rappel, Virat cite des études qui démontrent que l’on peut parler de satisfaction compassionnelle, ressentie par les professionnels des métiers relationnels : enseignants, éducateurs, travailleurs sociaux, soignants… Elle est un des facteurs du bien-être au travail, à côté du sentiment d’efficacité personnelle, de la qualité des relations avec les collègues et du sens que l’on peut donner à ses pratiques (p.152).
L’usure du temps
Avec les années, l’amour compassionnel des enseignants diminue et conduirait vers une forme de désengagement émotionnel. Les constats de chercheurs américains rejoignent ceux de Virat lui-même (p. 157). Il fait l’hypothèse qu’il s’agirait là d’une forme de protection contre la surcharge de travail. Peut-être a-t-il raison. Mais il oublie l’une des épreuves majeures des enseignants identifiées par Anne Barrère, à savoir le caractère cyclothymique de la relation pédagogique. Tous les élèves qui ont bénéficié d’un engagement fort de la part de certains de leurs enseignants ne démontrent pas forcément de la reconnaissance. Et certains élèves n’hésitent pas à dire tout haut que : « Quand on vieillit, on ne devrait pas enseigner » (Barrère, p. 137).
Conclusion
L’ouvrage de Maël Virat, courageux, repose sur des études sérieuses. A l’heure des dénonciations d’abus envers les jeunes, il fallait sans doute une certaine audace pour aborder le thème et défendre le concept d’amour compassionnel. Au terme d’une analyse rigoureuse, l’auteur peut affirmer que “[…] les relations chaleureuses entre enseignants et élèves sont un facteur d’implication et de réussite scolaire, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Ces relations affectives ont également des effets positifs sur le développement psychosocial des enfants et des adolescents hors de la classe : d’un côté elles favorisent une bonne estime de soi, stimulent la créativité, la prise d’autonomie ou encore les comportements prosociaux; de l’autre, elles limitent les symptômes anxieux et dépressifs, les comportements à risque ou encore les comportements déviants et délinquants“. (p. 189)
Ouvrages cités dans cet article
- VIRAT Mael : Quand les profs aiment les élèves, Odile Jacob, Paris, 2019
- BARRERE Anne: Les enseignants au travail. Routines incertaines, L’Harmattan, Paris, 2002