Un paramètre décisif de l’échec ou de la réussite
Tout le monde a, au moins une fois dans sa vie, entendu dire que les premiers de classe ne sont pas forcément ceux qui réussissent le mieux dans le monde professionnel. C’est une affirmation que l’on peut effectivement vérifier quand on a passé la trentaine. Elle laisse logiquement supposer qu’il y a d’autres facteurs que le quotient intellectuel qui jouent un rôle dans la réussite des individus.
Quotient intellectuel vs SEP
Dès l’entrée à l’école secondaire, le quotient intellectuel (Q.I.), perd de son influence sur la motivation des élèves et s’efface, notamment, derrière le sentiment d’efficacité personnelle (SEP). C’est ce qu’ont montré les recherches menées par Thérèse Bouffard et son équipe.
«À partir de la première année du secondaire, la mesure de perception de compétence prédit trois fois mieux le rendement scolaire que celle des habiletés mentales, et c’est ainsi pour tout le secondaire.»
Le tableau ci-dessus présente les scores de corrélation entre le quotient intellectuel des élèves, leur sentiment d’efficacité personnelle et leur rendement scolaire.
Il est frappant de constater le renversement qui existe à partir de l’entrée à l’école secondaire. Ce qui devient alors important, c’est ce que l’élève se croit capable de faire, plus encore que ses capacités réelles.
Définition du sentiment d’efficacité personnelle
Le SEP se définit comme « la croyance de la personne en sa capacité d’organiser et d’exécuter les actions qui sont requises pour atteindre les objectifs fixés et produire les résultats recherchés dans la tâche » (T. Bouffard, 2011, p. 3).
Nous devons ce concept aux recherches menées par Antonio Bandura en matière de psychologie sociale (Bandura, 1976).
Elèves réalistes, pessimistes et optimistes
Le mérite de Thérèse Bouffard consiste à avoir mené des recherches sérieuses et suivies sur les effets du SEP en milieu scolaire.
T. Bouffard a créé trois groupes d’élèves : les réalistes, les pessimistes et les optimistes. Les réalistes sont ceux dont la croyance en leurs capacités de réussite correspondent au plus près à leurs capacités intellectuelles. Les pessimistes s’en écartent dans le sens où ils ont des espoirs de réussite inférieurs à ce que leur quotient intellectuel pourrait prétendre. Quant aux optimistes, ils surévaluent allègrement leurs chances d’obtenir des résultats en regard de leurs capacités intellectuelles.
A quotients intellectuels très semblables, elle a démontré que le taux d’absentéisme scolaire et d’abandon des études est inversement proportionnel à la force du sentiment d’efficacité personnelle. En d’autres termes, les optimistes décrochent moins vite que les réalistes et, à fortiori, que les pessimistes.
Importance des paroles prononcées par l’enseignant.e
Nous comprenons dès lors l’importance pour les enseignant.e.s de présenter la matière et les exercices de manière progressive afin que les élèves renforcent leur SEP et non le contraire. Il en va de même pour les paroles prononcées par le maître, les encouragements ainsi que le traitement des erreurs.
SEP et besoins fondamentaux des êtres humains
Pour Bandura, si le sentiment d’efficacité personnelle est si important, c’est parce qu’il renvoie à des besoins fondamentaux qui sont propres à tous les êtres humains : avoir confiance en ses propres capacités à se fixer des objectifs, à se donner les moyens de les accomplir mais encore besoin de se sentir apprécié par ses collègues, ses interlocuteurs, de se sentir utile au sein d’une communauté.
Le SEP des enseignant.e.s existe tout autant
Les enseignant.e.s ne font pas exception à la règle. Ils ont aussi un sentiment d’efficacité personnelle (SEP) qui les motive à se lever le matin, à s’adonner à leurs tâches professionnelles. Et comme le SEP personnelle se renforce ou s’affaiblit en fonction de ce que des personnes de même âge et de même statut que nous accomplissent ou n’accomplissent pas, Thérèse Bouffard parle d’un sentiment d’efficacité collectif (SEC). On comprend dès lors l’importance des propos échangés dans les salles des maîtres ou des conseils de classe. Si le bruit se répand que, « dans cette classe, il est impossible de faire quoi que ce soit », ce SEC négatif va agir comme un démobilisateur sur le SEP de chacun.
Effet Golem, effet Pygmalion
Les études de T. Bouffard démontrent enfin comment fonctionnent l’effet Golem et son contraire, l’effet Pygmalion. Un.e enseignant.e convaincu.e qu’un élève faible a un fort potentiel va prendre davantage de temps à mieux lui réexpliquer les choses, se servira mieux de ses réponses – même erronées – pour rebondir, commenter de manière bienveillante, poser de nouvelles questions pour le conduire à une meilleure compréhension.
Même le ton de la voix sera plus doux, plus attentionné et plus stimulant que face à un élève considéré comme ayant peu de moyens. Avec ce dernier, le temps de réflexion accordé avant de recevoir la réponse sera plus court, la voix plus cassante et l’enseignant.e aura tendance à s’en désintéresser très rapidement.
SEP et enseignement efficace
Quand l’enseignement efficace prône l’accompagnement des élèves dans l’accomplissement de tâches passant des plus simples aux plus complexes, quand il insiste sur la nécessité de s’assurer que tous les élèves – y compris les plus faibles – ont bien compris les consignes et les contenus, il témoigne du souci de renforcer le SEP des élèves les plus fragiles.
Il en va de même lorsqu’il recommande d’enseigner les méthodes de travail, de recourir au renforcement positif et de répéter sans cesse que la réussite est le produit de l’énergie investie multipliée par l’application des bonnes méthodes de travail, résumée dans la formule : R = E x M (ou encore R = E x S).
Le SEP, une composante précieuse et importante pour les pédagogues
A l’heure où les changements nous obligent à faire évoluer nos pratiques de manière très régulière, il paraît indispensable d’intégrer la notion de SEP à l’ensemble de nos réflexions et de nos techniques d’enseignement et d’apprentissage.
Références bibliographiques :
- BOUFFARD, Thérèse et alii : Mesure de l’estime de soi à l’adolescence in Revue canadienne des sciences du comportement, 2002, pp 158-162
- BOUFFARD, Thérèse : Motivation et engagement http://www.preca.ca/wp-content/uploads/2016/12/Fiche-10.pdf, 2016.
- BANDURA, Antonio : L’apprentissage social, Bruxelles, 1976
- BISSONNETTE, Steve, GAUTHIER Clermont, CASTONGUAY, Mireille : L’enseignement explicite des comportements, Montréal 2017.