Deux ouvrages consacrés au leadership scolaire sont parus coup sur coup : Diriger un établissement scolaire, sous la direction de Progin L., Etienne R, Pelletier G., éditions de Boeck, Paris et Louvain 2019, d’une part et, d’autre part : Relever les défis contemporains dans la gestion des établissements scolaires, Huguenin JM, Yvon F, Perrenoud D, édition L’Harmattan, Paris, 2019.
Outre leur thématique, ils ont en commun le fait qu’ils sont signés par un collectif d’auteurs – essentiellement locaux -, actifs dans la formation de dirigeants d’école. Le défi d’analyser une mission aussi polymorphe et fluctuante que celle-ci justifie la multiplication des angles d’approche et des points de vue.
Jungle et canopée
Après dix-neuf années d’expérience et de pratique de direction j’ai apprécié certaines contributions plus que d’autres, à commencer par la métaphore de la canopée de la jungle que l’on doit à Guy Pelletier (Progin, 2019, p. 217). Les lois, les directives, les règlements constituent la canopée des institutions scolaires qui ne rendent sans doute pas toujours compte de la jungle des pratiques du terrain. Cette observation à la fois pertinente et poétique s’applique autant à la gestion d’une seule école qu’à l’ensemble d’un département ou d’un ministère de l’éducation.

Le schéma reproduit ci-dessus paraît d’autant plus adéquat qu’il rend compte des spécificités d’un établissement scolaire. Suffisamment général pour exprimer les missions de base d’une école : éduquer et instruire des élèves à partir d’inputs à la fois humains, programmatiques et financiers, il permet de mettre en évidence le rôle, les fonctions et les tâches des équipes de direction dans leur interaction avec les autorités scolaires et politiques. Il évoque les actes principaux que doivent accomplir les directions avec l’intelligence requise sans laquelle les meilleures intentions pourraient produire les pires effets.
Tableau de bord

En page 54 de Relever les défis contemporains dans la gestion des établissements scolaires (2019) Huguenin et Bassin proposent un « tableau de bord équilibré ». Je l’ai rempli pour l’exercice. Il permet, notamment, de rendre visible le lien nécessaire et obligatoire qui existe entre la vision d’un leader et les ressources dont il dispose ou alors qu’il doit solliciter. L’image reproduite ci-dessus n’est qu’une partie d’un ensemble nettement plus complexe.
Un processus hybride
L’un et l’autre ouvrage traitent la question des différents types de leadership. A supposer qu’une telle typologie soit véritablement importante, l’expérience m’a démontré deux choses. La première, c’est que diriger un établissement scolaire est un processus hybride, comme le rappelle Anne Barrère.
Elle parle de tension constante entre la régulation bureaucratique d’un côté et, de l’autre, la réactivité au local. « Cette hybridation constante n’est pas seulement le contexte de [l’] exercice professionnel, mais le cœur même de [cette] expertise. Les rappels de la règle égalitaire, du prescrit et des hiérarchies de contrôles coexistent avec l’accompagnement, l’encouragement, la prise en compte des initiatives, des régulations venues de communautés de pratiques, des spécificités locales ». Progin, Etienne, Pelletier 2019, pp 9-10.
Leadership situationnel
Seconde observation : une même directrice, un même directeur doit, dans le même établissement, être capable d’adapter son style de leadership aux circonstances. On ne dirige pas une institution scolaire de la même façon, selon que celle-ci passe par une série de crises graves, par une période de changements structurels majeurs ou lors d’une période faste où tout fonctionne de manière efficace et harmonieuse. Je valide donc le concept de leadership situationnel, au sens où l’entendent Paul Hersey et Ken Blanchard. (Cf. Paul Hersey et Ken Blanchard )
Lorsque des changements structurels majeurs sont imposés par une nouvelle loi, par exemple, les enseignant.e.s attendent de leur chef une ligne directrice à suivre, des explications et des instructions très concrètes et nettes sur les nouvelles manières de faire, sur les procédures, les risques et les soutiens offerts. Personne ne se plaindra alors d’avoir une direction solide, connaissant bien les dossiers, assumant les changements devant tous les acteurs de l’école, jouant de manière consciencieuse et éclairée son rôle de passeur entre le haut de la hiérarchie et la base, et vice-versa.
Leadership de service
Un tel leadership de direction devra s’effacer au moment où les directives et les prescriptions issues de la science touchent à leurs limites. Il faut alors encourager les enseignant.e.s à se mettre en mode recherche-action et l’on passe alors à un leadership distribué. En période de relative stabilité, reste le leadership de service qui me semble alors être le plus approprié.
C’est Olivier Perrenoud qui propose ce type de gouvernance dans «Dynamiques de l’encadrement pédagogique: pratiques déclarées de chefs d’établissement en Suisse romande», 4ème chapitre de Diriger un établissement scolaire, sous la direction de L. Progin, R. Etienne, G. Pelletier, éd. De Boeck Supérieur, Paris et Louvain, 2019, p. 93.
Une variable peu étudiée
Une absente de ces études : la composante sociale des établissements. En tant qu’ancien directeur d’un collège en réseau d’enseignement prioritaire (REP), je regrette que l’on ne fasse que des allusions très discrètes à la composition sociale des établissements et qu’on ne propose quasiment rien quant à son influence sur leur gouvernance. Dans les faits, on ne sort pas indemne de la misère sociale que l’on peut rencontrer au jour le jour dans des écoles en réseau d’enseignement prioritaire. Une fois intégré à l’équipe de direction d’un collège défavorisé, on découvre la réalité parfois très crue de la vie de certains élèves. Une réalité qui finit par déteindre sur les acteurs qui y travaillent.
Effet miroir
A la misère s’ajoute toujours la violence. Violence des revers de la vie qui touchent profondément les parents et leurs enfants. Les élèves l’emportent avec elle à l’école et, par effet miroir, celle-ci finit par impacter les acteurs de l’école.
Les enseignants fraîchement engagés ne comprennent souvent pas pourquoi la direction et les collègues en parlent autant et la craignent. Durant les premières semaines de leur activité, ils émettent même des doutes quant à son existence, jusqu’au jour où un esclandre surgit. Le choc qu’ils ressentent alors leur fait alors découvrir une réalité qui dépasse parfois ce qu’ils s’étaient imaginé.
Leadership fort
Un bon leadership d’établissement en zone REP doit non seulement anticiper de telles épreuves mais encore disposer de tout un attirail de moyens d’intervention (paroles et actes de soutien), voire d’astuces dans le but d’atténuer le choc, de garder son sang-froid professionnel pour circonscrire l’incendie.
La direction joue sa crédibilité en maîtrisant les différents temps de l’intervention, sa capacité à faire face à l’imprévu, aux défaillances et aux limites des systèmes, quels qu’ils soient. Comme le rappellent Bissonnette, Richard et Gauthier (2006), elle doit être forte (op. cit. pp 17-21) et assumer pleinement son rôle.
Leadership de crise
Quand il s’agit de faire face à des incidents graves, c’est un véritable leadership de crise qui s’impose. (Cf. https://www.dynamique-mag.com/article/qualites-leader-posseder-temps-crise.5718) . Une directrice ou un directeur efficace devra démontrer alors sa capacité à affronter l’incertitude, faire preuve de sens de l’écoute, de courage, de persévérance, d’empathie envers son équipe, maîtriser la communication, favoriser un esprit de coopération et de solidarité tout en sachant établir des plans d’action crédibles destinés à ramener le calme.
Polyvalence et réactivité
Lors d’une crise, le bon leader doit très rapidement mesurer un certain nombre de choses : qu’est-ce qui doit être fait en toute urgence pour limiter les dégâts et éviter d’autres problèmes encore plus graves ? Qu’est-ce qui doit être accompli sans tarder, malgré l’inertie de certains corps de métiers censés apporter leur aide et leurs savoir-faire ? Le/la leader doit souvent afficher une polyvalence de couteau suisse : ne pas hésiter à effectuer des tâches qui ne sont pas les siennes quand cela permet de sauver la situation, d’une part et demander à ses proches collaborateurs de faire pareil.
Last but not least, il doit apprendre l’art de capituler, faire l’expérience de l’impuissance sans pour autant abandonner. Savoir travailler sur un temps long en faisant preuve de patience et d’obstination permet d’obtenir des résultats positifs qui redonnent du sens à des échecs antérieurs.
Vigilance éclairée
Les établissements en zone d’éducation prioritaire recrutent parmi les couches de la population les moins favorisées. Positionnés à la mauvaise extrémité de la courbe de Gauss sociale, ils se retrouvent souvent éloignés de la majorité des établissements pour lesquels sont conçus les programmes et les politiques éducatives. Certaines d’entre elles leur paraissent vides de sens, quand elles ne vont pas à l’encontre de ce qui leur serait véritablement utile. La réponse à cet état de fait, réside dans un leadership de veille constante pour ne retenir que l’essentiel et l’utile des réformes tout en donnant le change pour ce qui relève des expériences passagères.
Expérience et expertise
Tenir sur la longue durée enseigne l’art de se méfier. Une directrice ou un directeur chevronné apprend à éviter les cadeaux empoisonnés, notamment quand on lui offre du personnel déjà formé à qui l’on veut donner une deuxième chance. Euphémisme qui cache souvent le transfert de personnes toxiques et impossibles à gérer.
Cette stratégie repose sur une croyance : leurs défauts seront moins visibles dans un milieu populaire. S’il est vrai que les élèves ne verront pas tout de suite ou seront dans l’incapacité de nommer certaines lacunes, ils finiront par les sentir et les feront payer d’autant plus chèrement.
La circonspection du leader en zone d’éducation prioritaire doit aller jusqu’à se méfier de l’intervention d’experts censé leur apporter de l’aide en situation de crise. Il doit se persuader que les pompiers ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils sont guidés par un fin connaisseur du terrain. Que celui-ci leur délègue uniquement l’exécution des tâches techniques. Qu’il conserve tout ou partie du pilotage stratégique pour effectuer le bon choix, au bon moment.