L’élève qui ne progresse pas malgré les premières aides personnalisées représente souvent un tracas pour l’enseignant·e. Cela peut susciter un fort sentiment d’impuissance, voire une impression d’échec chez l’adulte qui s’en occupe.

En pareille circonstance, nous avons pu constater les effets positifs de ce que Pierre Vianin appelle la recherche du « point nodal » et l’élaboration d’un projet personnel individualisé.

LA RECHERCHE DU POINT NODAL

Face au comportement dysfonctionnel ou aux résultats très insuffisants d’un élève, les adultes recherchent assez logiquement la cause du malaise dans le but avoué de le guérir. En général, ce type de démarche aboutit et les améliorations surviennent peu ou prou. Il faut, pour cela, que les adultes appliquent le train de mesures compensatoires nécessaires et que les élèves les investissent.

La situation se complique lorsque les dysfonctionnements persistent. C’est alors que la recherche du point nodal peut contribuer à sortir les protagonistes de l’impasse.

LE POINT NODAL – DE QUOI S’AGIT-IL ?

A la différence d’un simple défaut ou dysfonctionnement isolé, c’est un élément, une composante qui joue un rôle central dans l’attitude, le comportement d’un élève face au travail ou dans ses relations avec les élèves et les enseignant·e·s. Il est à la fois la cause et l’explication de ces comportements problématiques.

En recourant à une métaphore médicale, on pourrait dire que le point nodal est plus qu’un symptôme, c’est l’élément qui explique et provoque l’apparition de la maladie.

Le point nodal n’est pas toujours facile à trouver, surtout lorsqu’il se situe dans des domaines ou des territoires qui ne tombent pas sous le regard de l’enseignant·e.

LA DÉTECTION, PREMIER DÉFI

Détecter le facteur central qui perturbe la vie ou le fonctionnement d’un élève c’est, dans un premier temps, récolter un maximum d’informations à son sujet : sur ses résultats scolaires, son attitude face au travail, son comportement lors des interactions avec les adultes et ses camarades mais pas seulement. Il s’agit aussi de connaître son parcours de vie, ses parents, sa fratrie, ses représentations de la vie et de son métier d’élève etc.

Dans les cas les plus ardus, une visite à domicile peut aussi contribuer à enrichir le faisceau de données parmi lesquelles l’adulte ou le groupe d’adultes détectera celle qui pourrait constituer le fameux point nodal.

L’ÉLABORATION ET LE SUIVI D’UN PROJET PERSONNEL INDIVIDUALISÉ, DEUXIÈME DÉFI

Dès lors qu’une hypothèse est retenue, elle doit se traduire par un programme d’intervention cohérent qui, généralement, requiert l’attention et le suivi de tous les adultes concernés : enseignant·e·s, parents, tuteur, répétiteur, thérapeute, sans oublier l’élève lui-même. Sans l’adhésion et la participation de ce dernier au programme établi, le succès de l’opération risque d’être fortement compromis. C’est là un deuxième défi.

CONSIDÉRER LE PROJET PERSONNEL INDIVIDUALISÉ COMME UN PROCESSUS ITÉRATIF

Troisième défi. Malgré tout le temps et l’énergie consacrés à la détection du point nodal et à l’élaboration du projet personnel individualisé, ses auteurs doivent avoir le courage de le soumettre à l’épreuve des faits. Car si, après un temps d’application raisonnable, le dispositif produit les effets attendus, on peut le maintenir, le renforcer, voire lever des mesures devenues fort heureusement inutiles. A contrario, si les effets visés ne sont pas au rendez-vous, le dispositif doit être revu. Il s’agira dès lors d’en proposer une variante ou une alternative qui, elle, pourrait, cette fois, répondre aux attentes et aux besoins d’amélioration des différentes parties prenantes.

 

PERSÉVÉRER, MALGRÉ UN TRÈS FAIBLE RETOUR SUR INVESTISSEMENT

On se trouve ici au cœur même de la problématique des jeunes élèves en grande difficulté : le traitement de leur situation nécessite des interventions dûment réfléchies, patiemment construites et, par conséquent, souvent chronophages. Le rapport entre implication des adultes et retour sur investissement se montre tellement défavorable que ceux-ci sont souvent tentés de renoncer à chercher plus loin lorsque les premières mesures s’avèrent inopérantes.

EXEMPLES DE RÉUSSITES

Voici deux témoignages démontrant qu’il vaut la peine de persévérer dans la recherche de solutions.

XXX est un élève qui, après avoir quitté le dispositif d’accueil de l’école ne fait strictement rien en classe standard. Il n’apporte pas ses affaires, s’amuse constamment au lieu de travailler et se montre fuyant dans les entretiens d’explicitation.

La communication avec ses parents est inexistante, ils ne répondent pas au téléphone, ne viennent pas aux rendez-vous demandés par l’école.

Le doyen de l’établissement en charge de XXX se rend alors au domicile de l’élève.

VISITE AU DOMICILE DE L’ADOLESCENT

A l’arrivée du doyen, les parents se montrent respectueux. Le père parle un peu français, contrairement à son épouse. Durant la conversation, le doyen se rend vite compte que l’écoute est polie mais que ses propos n’ont apparemment aucun effet. En fin de compte, il ose la question « J’ai l’impression que la scolarité de votre enfant n’est pas vraiment un problème pour vous, est-ce exact ? ». Un silence embarrassé s’installe. Puis le père appelle AAA, son fils aîné et lui demande d’officier en tant qu’interprète.

AAA maîtrisant mieux le français, il explique alors que le locataire de l’appartement où  tous habitent exige de leur part une énorme somme en réparation de prétendus dégâts faits aux tapisseries et aux sols. Pour AAA et ses parents, ces dégradations existaient déjà au moment de leur arrivée. S’ils ne s’en étaient pas plaint, c’est parce qu’ils étaient trop reconnaissants de disposer de davantage d’espace. Mais être accusés à tort et sommés de payer une somme correspondant à trois mois entier de salaire, provoque chez eu un sentiment d’injustice si fort que le père et la mère des enfants en sont malades. Ils n’ont même plus la force de faire traduire et lire les sommations qui leur sont adressées. « Vous comprenez que, pour mes parents, les problèmes scolaires de mon frère ne méritent pas leur attention, en comparaison du temps et de l’énergie qu’ils consacrent à cette histoire de commandement de payer », conclut AAA.

INTERVENTION DU CONSEILLER SOCIAL

Le doyen se met alors expliquer que l’établissement scolaire dispose d’un assistant social dont l’une des tâches consiste à fournir une aide concrète en pareilles circonstances. Saisi par les parents du problème, l’assistant interviendra peu de temps plus tard avec succès pour défendre les droits de la famille. Dans les semaines suivantes, la situation s’améliorera, d’abord pour la famille mais aussi pour l’école. Car, autre conséquence positive provoquée par la visite à domicile, le frère aîné sera désigné comme interlocuteur principal des intervenants scolaires.

SATISFAIRE LES BESOINS FONDAMENTAUX

La prise en charge d’XXX se fera bientôt plus efficacement et débouchera sur une amélioration de son comportement.

Le point nodal de cette situation était donc cette menace qui pesait sur les besoins fondamentaux des parents et, par ricochet, sur le jeune lui-même. Cette épée de Damoclès les empêchait non seulement de s’occuper d’autres problèmes considérés comme secondaires mais provoquait encore un ressentiment très fort contre leur nouveau pays d’adoption et, par voie de conséquence, contre l’institution scolaire du pays. XXX se retrouvait ainsi complètement livré à lui-même et, de surcroit, cherchait sans doute à punir les compatriotes des bourreaux de sa famille, à savoir ses enseignantes et enseignants.

DEUXIÈME EXEMPLE : TU SERAS CLOWN !

DDD a des résultats scolaires très moyens mais il ne cesse de faire le pitre en classe. Les sanctions ne servent à rien, le potache cherche constamment à faire rire les autres. Malgré des entretiens avec la maman qui semblent plutôt engageants, le comportement du fils ne s’améliore guère.

L’enseignant principal décide alors de convoquer le père, malgré ses résistances à venir à l’école. Lors de la rencontre qui finit par avoir lieu, une chose saute aux yeux du prof : c’est la forte connivence qui lie le fils à son père. Le papa sourit, rigole même lorsque l’enseignant décrit quelques frasques commises par son fils, à tel point que le prof se dit qu’il vient de découvrir le point nodal. Et il pose la question très directement : « J’ai l’impression que les incartades de votre fils vous amusent et que vous les trouvez même positives. Qu’en dites-vous ? » Le père et son fils finissent par avouer qu’ils ont l’espoir que celui-ci finisse par devenir une star du stand up.

FAIS-NOUS RIRE POUR DE BON !

L’enseignant explique au père et à son fils que rire pendant les cours aux dépends des autres élèves ou du prof peut éventuellement être le signe de prédispositions pour le métier de comique mais qu’il en faut davantage pour arriver à percer dans ce monde très concurrentiel. Large d’esprit, il recommande au papa d’inscrire son enfant aux cours facultatifs de théâtre ou d’improvisation tout en mettant l’élève au défi de présenter à la classe un court sketch de 2-3 minutes. Il rappelle aussi qu’un métier d’artiste requiert des compétences sociales et une certaine capacité de travail qui, toutes, peuvent être exercées durant les jours et les années d’école.

Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, les incartades ont emprunté une courbe décroissante et, une année plus tard, DDD était redevenu un élève souriant mais sans problème. Dans l’école, tout le monde attend encore le sketch de 2-3 minutes qui aurait permis de célébrer la naissance d’un nouveau grand humoriste. Quant à l’enseignant, il est fier d’avoir dénoué le point nodal, moyennant de bonnes lectures, une saine ouverture d’esprit et une once de persévérance.

DERNIÈRE PUBLICATION DE PIERRE VIANIN PARUE SUR CES DEUX SUJETS :

Vianin, P. (2022). De l’échec scolaire à la réussite. Accompagner l’élève en difficulté d’apprentissage. Louvain-la-Neuve : de Boeck supérieur.

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