On a vu dans la première partie de notre article consacré à sa thèse de doctorat, que Marie Bocquillon s’est efforcée de comprendre les raisons et les enjeux de l’opposition qui existe entre partisans et détracteurs de l’enseignement explicite et des méthodes (socio)constructivistes.

EVITER D’ENSEIGNER CE QUI EST CONTRE-PRODUCTIF

Si elle y a porté autant d’attention, c’est qu’il est primordial pour un institut de formation des enseignants d’éviter de leur demander d’appliquer des gestes, des dispositifs qui iraient à l’encontre de l’intérêt des élèves.
Une telle évidence – et c’est un paradoxe – ne l’est pas tant que ça dans la réalité. Les enseignants en formation sont parfois peu informés sur les méthodes les plus efficaces, invités à simplement s’interroger sur leurs pratiques ou alors encouragés à appliquer des manières de faire reposant sur des croyances invalidées par la recherche scientifique (Bocquillon, 2020, pp. 147 à 157 et p. 516).
Elle l’a dit et abondamment répété, l’analyse des données probantes établit la supériorité des méthodes instructionnistes au détriment de celles qui relèvent du (socio)constructivisme.

L’ENSEIGNEMENT EXPLICITE COMME RÉFÉRENCE
Après avoir justifié le choix d’une méthode considérée comme l’une des meilleures, au vu des nombreuses analyses et méta-analyses qui lui confèrent ce statut – nous parlons de l’enseignement explicite – Marie Bocquillon s’est demandé comment la décliner en gestes et en attitudes observables sur le terrain, le but ultime étant de proposer un référentiel destiné à évaluer les enseignant.e.s en cours de formation et de le faire de manière bienveillante et formatrice.

LE MIROIR DES GESTES PROFESSIONNELS (MGP)

Le référentiel qu’elle propose et qu’elle nomme Miroir des gestes professionnels (MGP) est le fruit d’une synthèse des travaux d’Archer et Hugues (2011), de Gauthier, Bissonnette, Richard (2013), de Rosenshine et Stevens (1986) ainsi que de Slavin (2009). L’efficacité dont ils font preuve, correspond aux critères définis par Bloom (1979).

Comme le montre le schéma ci-dessus, la grille comporte deux fonctions principales : la gestion de classe et la gestion des apprentissages, ainsi que 9 fonctions secondaires. La gestion de la classe se décline en gestion de l’espace et du temps, gestion de la participation, gestion de la discipline, interventions sociales et gestion logistique. Quant à la gestion des apprentissages, elle se compose de quatre éléments : présentation, objectivation, feedback et étayage.
Les interventions sociales relèvent du lien à instaurer et à entretenir avec toute une classe et chacun des élèves : par les salutations, amabilités, compliments, encouragements, félicitations.
L’objectivation doit être comprise comme l’ensemble des « interventions par lesquelles l’enseignant cherche à rendre observable la façon dont les élèves construisent l’objet d’apprentissage ou la compréhension / le vécu / le cheminement de pensée des élèves » ( p. 251).
Les autres fonctions sont suffisamment claires pour que nous n’ayons pas à y revenir ici, sauf peut-être l’étayage. Il consiste à détecter des besoins d’explications complémentaires, nécessaires à certains élèves et, cas échéant, à les leur fournir en cours.

INFORMATISATION DU RÉFÉRENTIEL

Une fois ce référentiel créé et affiné, Marie Bocquillon a souhaité relever un autre défi, i.e. se servir d’un outil informatique permettant de coder en temps réel les gestes de l’enseignant observé tout en le filmant en train de donner son cours. L’apprenant disposerait ainsi d’un miroir de ses pratiques, consultable dès la fin de sa prestation devant les élèves.
Après l’étude et le test de quatre logiciels : The Observer ® XT, Vosaic Connect, Captiv et Studiocode, la doctorante a porté son choix sur ce dernier en raison de sa polyvalence. Il permet en effet de conjuguer les tâches de formation des maîtres avec la nécessité d’améliorer les critères d’analyse et d’observation initialement choisis. Les prestations de Studiocode ont ainsi pu être modifiées et affinées durant toute la recherche-action.

LA PARTICIPATION DES ÉLÈVES

Une des trois améliorations majeures apportées par le test de la première version a consisté en l’ajout d’un groupe de catégories relatif aux interventions des élèves. L’importance des modalités de questionnement des élèves a été thématisée par les principaux tenants de l’enseignement explicite, de Rosenshine à Bissonnette, dans le but évident de les rendre attentifs et actifs. Identifier et rendre compte de ces modalités revêt ainsi une grande importance. Mais les élèves interagissent avec le maître non pas uniquement pour répondre à ses questions. Il leur arrive de demander spontanément la parole pour obtenir des compléments d’information, pour commenter ce qui a été présenté ou problématisé. Le tableau ci-après rend compte de ces différentes catégories.

EFFETS DU MIROIR DES GESTES PROFESSIONNELS SUR LES ENSEIGNANTS EN FORMATION

Alors que le dispositif était laissé au libre choix des enseignants en formation, leurs écrits réflexifs démontrent qu’ils l’ont utilisé et qu’il leur a permis de satisfaire aux trois niveaux de réflexivité définis par Derobertmasure (2012) : la description, la prise de recul et la proposition d’alternatives.
Voilà qui confirme les mérites d’une telle manière de former les enseignants, déjà identifiés par d’autres chercheurs tels que Jensens (1994) et Dye (2007) pour qui « les observations réalisées par de futurs enseignants au sujet de leur propre pratique sont plus fiables lorsqu’elles sont basées sur une grille que lorsqu’ils doivent s’auto-évaluer de manière plus globale » BOCQUILLON (2020) p 508.

CONSTATS GÉNÉRAUX RÉSULTANT DU CUMUL DES OBSERVATIONS

Les observations effectuées lors de la recherche-action mettent en évidence la prédominance des activités de gestion des apprentissages sur celles qui concernent la gestion de la classe, une caractéristique généralement propre aux enseignants débutants et susceptible de se modifier lors de l’apparition des premiers gros écarts disciplinaires. Trois autres fonctions sont insuffisamment appliquées : les interactions sociales, le recours aux exemples pour illustrer la présentation des contenus et, enfin, la synthèse des éléments essentiels abordés pendant la leçon (pp 465 à 477).

REGARD CRITIQUE ET SUGGESTIONS

Dans la conclusion de sa thèse, Marie Bocquillon fait preuve d’honnêteté et de courage en énumérant les limites d’un tel dispositif : il ne permettrait pas de suffisamment prendre en compte le contexte dans lequel sont posés certains gestes professionnels. Il serait impossible de codifier à 100% une pratique aussi complexe que l’art d’enseigner, notamment parce que la quantification des données observées empêcherait une observation plus globale qui, elle, permet d’évaluer des organisations de comportements de manière plus significative.

Elle propose de scinder la grille MGP en différents modules spécifiques, p. ex : gestion de classe, moments d’objectivation, feedbacks. Elle suggère des approfondissements possibles : s’intéresser aux silences de l’enseignant, aux gestes non-verbaux ou encore aux routines (pp 501 à 505).

VERS UNE GÉNÉRALISATION DU DISPOSITIF ?

La recherche-action de Marie Bocquillon aura-t-elle pour effet de voir une généralisation de son dispositif ou, en tout cas, de sa grille MGP ? Malgré le travail sérieux effectué par ses soins, elle en doute, sachant qu’il existe encore de fortes résistances visant le modèle choisi. Demeure également un débat qui, regrette-t-elle, ne se situe pas au niveau de l’efficacité du modèle mais plutôt sur les idées et sur les principes de sa préconisation.

APPEL À L’ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ

Elle termine sa thèse par un appel à l’éthique de la responsabilité au sens où l’entend Jonas (1979), cité par Métayer et Ferland (2018). « Il semble important de sensibiliser les (futurs) enseignants au fait qu’ils exercent un pouvoir sur l’apprentissage des élèves et qu’ils ont donc, en corollaire, une responsabilité vis-à-vis de ceux-ci. » (p.519) « Pour pouvoir assumer [la] responsabilité de choisir les meilleures stratégies […], encore faut-il que l’enseignant ait été informé de l’existence des stratégies fondées sur des données probantes […] et à l’analyse objective de ses propres pratiques au regard de la littérature scientifique […]. » (p. 522).

Voilà des appels que nous partageons et relayons.

OUVRAGES ET SITES INTERNET CITÉS DANS CET ARTICLE

Archer, A.L. & Hughes, C.A. (2011), Explicit Instruction. Effective and Efficient Teaching, New York, Guilford Press
Bloom, B.S. (1971). Mastery Learning. Dans J. H. Block (Ed.), Mastery Learning : Theory and Practice (pp. 47-63). New York : Holt, Rinehart and Winston, Inc.
Bocquillon Marie (2020): Quel dispositif pour la formation initiale des enseignants ? Pour une observation outillée des gestes professionnels en référence au modèle de l’enseignement explicite, Université de Mons.]. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00726944
Derobertmasure, A. (2012). La formation initiale des enseignants et le développement de la réflexivité ? Objectivation du concept et analyse des productions orales et écrites des futurs enseignants (Thèse de doctorat). Université de Mons. [En ligne] https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00726944
Dye, B. R. (2007). Reliability of Pre-Service Teachers Coding of Teaching Videos Using Video-Annotation Tools (Thèse de doctorat). Brighan Young University. [En ligne] https://scholarsarchive.byu.edu/etd/990/
Gauthier, C., Bissonnette S., & Richard, M., (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck
Métayer, M., & Ferland, G. (2018). Philosophie éthique : enjeux et débats actuels (5e éd.), Montréal : Pearson ERPI.
Rosenshine, B., & Stevens, R. (1986), Teaching Functions. Dans M.C. Wittrock (Ed.), Third Handbook of Research on Teaching (pp. 376-391) (3e éd.), New-York : Macmillan.
Slavin, R.E. (2009). Educational Psychology : Theory and practice (9e éd.). Boston : Pearson Education

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