
Les médias relatent assez souvent les dérives de jeunes adultes passés par des institutions dont la mission est d’accueillir et d’éduquer des enfants ou adolescents, qu’ils soient orphelins ou simplement retirés momentanément à leur famille. On connaît quelques personnalités ayant connu ce genre d’enfance ou d’adolescence qui sont pourtant parvenues à briller et à connaître la célébrité (Tina Turner ou Louis Armstrong pour ne citer qu’eux). Clint Capella, né à Genève en 1994 fait partie de ce cercle très restreint.
Comme il le dit dans l’interview ci-après, il a été placé en foyer d’accueil entre l’âge de 6 à 13 ans avant de retourner vivre chez sa mère. Elève courtois et travailleur d’un collège situé en réseau d’enseignement prioritaire (REP), il a réussi à se hisser parmi l’élite du basketball professionnel en intégrant la prestigieuse National Basketball Association (NBA) des USA.
Cette interview voudrait relever sa force morale, sa résilience et sa ténacité, mais pas seulement. Son témoignage représente aussi un compliment indirect à ses éducatrices et éducateurs, à ses enseignantes et enseignants qui ont su traduire dans des actes les principes d’engagement professionnel au service de valeurs telles que l’aide aux plus démunis et l’égalité des chances de tous les élèves.
J’ai personnellement eu le bonheur de constater que, malgré sa célébrité et sa carrière construite en majeure partie à l’étranger, Clint Capella a toujours rendu hommage à la Suisse et à sa ville natale avec lesquelles il garde des liens très forts. Ses propos ne sont pas de circonstance, il les tient dans les médias depuis plusieurs années déjà.
Bonjour, comment allez-vous ?
Je vais très bien, merci.
Après 9 ans passés en NBA, dont 3 dans l’équipe des Hawks d’Atlanta est-ce plus facile qu’en début de carrière de joueur professionnel ou, au contraire, plus compliqué ?
La concurrence est rude chaque jour, la moyenne de durée de carrière en NBA est de 4 ans et je suis en train de finir ma 9ème année à présent. Nous sommes 450 joueurs en NBA et il y en a 60 nouveaux qui rentrent annuellement. Ils ont entre 19 et 23 ans donc c’est de plus en plus dur bien sûr.
Quels sont vos motifs de satisfaction et vos préoccupations du moment ?
Le basket me prend beaucoup de temps car je dois prendre soin de mon corps avec des massages, sauna, musculation et physiothérapies. Mais je fais également de nombreux investissements et pas mal de conversations zoom concernant différents projets d’investissement. Je veux être sûr que mon portefeuille tourne bien pour assurer mon futur.
Et quels sont vos projets à moyen terme, pour ce qui concerne votre carrière sportive ?
À moyen terme, j’espère rester au top physiquement pour arriver à dominer nos adversaires.
Comment voit-on Genève et la Suisse après 9 ans de vie aux USA ?
Genève est là où je viens me ressourcer quand la saison est finie.
Ma famille est toujours ici donc j’en profite également pour passer du temps avec eux et m’éloigner du monde très flashy que sont les États-Unis. Ça me permet de retrouver de la simplicité dans ma vie de tous les jours.
Mon expérience au Cycle d’orientation des Coudriers a été formidable et a posé les bases de ma réussite professionnelle. J’encourage tous les élèves à profiter de cette opportunité unique et à travailler dur pour atteindre leurs objectifs
Quel souvenir global gardez-vous de vos années passées au collège et Cycle d’orientation des Coudriers ?
C’est quand j’étais aux Coudriers que j’ai commencé à rêver de jouer en NBA. Je prenais le journal 20 Minutes tous les matins et j’admirais les performances quotidiennes de Thabo Sefolosha qui, lui, à l’époque, jouait pour les Chicago Bulls. [NDLR : premier joueur de basket suisse à avoir accédé à la NBA, en 2006].
J’ai gardé des amis qui sont passés par les Coudriers et je me souviens de quelques professeurs comme Mme Raguideau ou encore de notre doyen. C’étaient 3 années où entre 12 et 15ans, j’ai beaucoup évolué et changé au niveau de ma maturité. Je suis devenu ainsi prêt à intégrer un centre de formation en France.
Avez-vous des anecdotes, des souvenirs à raconter à propos de ces 3 années ?
Je me souviens de quelques élèves perturbateurs, surtout durant notre cours d’allemand et les élèves avec qui j’étais. Ce sont des souvenirs que je n’oublierai jamais : se retrouver dans les couloirs pour aller en classe, l’importance du carnet de comportement « lol », même si je n’avais pas un mauvais comportement. C’est aujourd’hui que je me rends compte combien les valeurs créées en moi aux Coudriers sont importantes.
Comment est-ce que vous voyiez votre vie professionnelle future quand vous êtes entré au Cycle d’orientation ? Est-ce que vous vous imaginiez entreprendre une carrière de sportif, quelque chose d’autre ou n’aviez-vous aucun projet particulier ?
Je n’étais vraiment sûr de rien pour tout vous dire. Je rêvais d’être un grand sportif mais ce n’était qu’un rêve. On rêve à cet âge-là et on ne sait pas vraiment où la vie va nous mener.
A quel moment vous êtes-vous dit que vous alliez faire une carrière sportive ?
C’était en France, à Chalon-sur-Saône, lorsque j’ai commencé à m’entraîner avec le groupe professionnel. J’avais 17ans. Avant ça, je me concentrais davantage sur la façon d’avoir des bonnes notes et de m’amuser au basket.
Beaucoup d’adolescents rêvent d’une carrière sportive. Qu’est-ce qui, selon vous, a fait la différence entre vous et ceux de vos copains qui ont renoncé et choisi un métier plus traditionnel ?
La différence est que j’étais fan de basket à un point où je m’entraînais dans ma chambre après mes entraînements du soir. Je faisais des pompes, du gainage et de la corde à sauter pour être plus athlétique. Je rêvais de devenir multi millionnaire et je savais que j’avais peut-être une chance même minime d’y parvenir.
Durant votre jeunesse, vous aviez des conditions de vie assez différentes de la majorité de vos camarades. Qu’est-ce qui vous a aidé à assumer ces différences ?
Je rêvais de ne plus être en internat car j’y ai séjourné : durant 6 ans à Genthod et pendant 1 année à Vieusseux. Je voulais être un enfant normal qui rentre chez lui après les cours.
Ça m’a aidé sur le fait que j’ai dû être mature plus vite.
Après mon retour à la maison, je devais être capable de faire mes devoirs tout seul, d’aller en cours en prenant le bus seul, sans l’aide de ma mère qui se levait avant moi pour aller travailler. Elle m’a inspiré par sa constance et sa volonté de faire les choses de la bonne manière.
Aujourd’hui, vous avez un salaire annuel qui est environ 30 fois plus élevé que le salaire moyen des Suisses. Qu’est-ce que vous ressentez à ce propos ? De la fierté, de la satisfaction, de la gêne ou un sentiment de revanche sur les conditions de vie difficiles de votre jeunesse ?
Un beau salaire c’est une chose mais j’ai travaillé pour ça et j’y ai cru. Personne ne m’a poussé à aller le chercher à part moi-même. Et ça, depuis les Coudriers. Si je me compare aux autres, je pense que chacun a son histoire. Gagner 10, 20 ou 30 fois plus qu’une autre personne n’est pas le plus important. Savoir quoi faire de bien avec cet argent, rester intelligent et lucide est un autre défi.
Le Cycle des Coudriers vient de fêter ses 50 ans d’existence. Avez-vous un message à passer aux élèves et aux profs qui y sont actuellement ?
Je tiens à féliciter le Cycle des Coudriers pour ses 50 ans d’existence et à remercier les professeurs et le personnel pour leur engagement envers les élèves. Mon expérience au Cycle des Coudriers a été formidable et a posé les bases de ma réussite professionnelle. J’encourage tous les élèves à profiter de cette opportunité unique et à travailler dur pour atteindre leurs objectifs.
Avez-vous également un message à faire passer auprès de vos anciens camarades qui, à l’occasion de la fête, découvriront peut-être cet interview ?
Je voudrais remercier mes anciens camarades du Cycle des Coudriers pour leur amitié et leur soutien au fil des ans. C’est grâce à eux que j’ai appris l’importance de la persévérance et du travail acharné, et que j’ai pu réaliser mon rêve de devenir joueur de basket professionnel. Je suis fier de mes racines genevoises et je ne manque jamais une occasion de revenir au bord du lac Léman pour rendre visite à ma famille et à mes amis.
RÉFÉRENCES :
Clint Capela sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Clint_Capela
Thabo Sefolosha : joueur de basketball. Premier Suisse à avoir accédé à la NBA, il fut professionnel de 2001 à 2020. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Thabo_Sefolosha
REMERCIEMENTS :
Léonard Morand, auteur de l’interview était directeur du collège des Coudriers au moment où Clint Capela y fut élève. Il remercie très chaleureusement Magali Bandelier ex-éducatrice au foyer de Pierre-Grise à Genthod pour sa précieuse collaboration. C’est elle qui a suivi Clint Capela durant ses années d’école primaire, qui a sans cesse gardé un étroit contact avec lui et permis cet interview.